Améliorer le dépistage de l’insuffisance rénale chronique
Entre 65 et 74 ans, « 440 nouveaux patients par million d’habitants arrivent au stade d’insuffisance rénale chronique en France, et ce chiffre s’élève à près de 700 chez les personnes âgées de plus de 75 ans », souligne le Pr Jean-Michel Halimi, néphrologue au CHU de Tours, lors des JIB (Journées de l’innovation en biologie) en décembre 2020. « Nous devons tout faire pour réduire le risque d’insuffisance rénale chronique terminale », martèle-t-il. Il rappelle que l’âge médian, relatif à ce risque, est de 70 ans.
Ce néphrologue mène, depuis 2015, une action pluriprofessionnelle en région Centre-Val de Loire, associant biologistes, médecins, pharmaciens et infirmières. L’objectif ? Améliorer le dépistage et le suivi des patients atteints de maladie rénale chronique.
L’incidence de l’insuffisance rénale chronique est de 15 500 patients qui arrivent chaque année au stade terminal de l’insuffisance rénale. Parmi eux, 12 000 sont dialysés et 3 500 greffés. Et 16 % de ces patients dialysés et 2,5 % des patients greffés décèdent dans l’année. Le coût s’élève à 4 milliards d’euros par an. Au quotidien, la dialyse est lourde à gérer : un patient âgé s’y rend quatre heures trois fois par semaine. Quant aux greffés, même si leur qualité de vie est meilleure, ils doivent faire face à des risques de rejet, d’infection, de diabète, de troubles cardiovasculaires, de cancers ou de lymphomes.
Selon l’organisation internationale de référence sur les maladies rénales, le KDIG (Kidney Disease Improve Global Out- comes), la définition du débit de filtration glomérulaire (DFG) normal est de 60 mL/minute/1,73 m2. « Tous les sujets qui se situent en dessous de ce seuil sont considérés comme des malades chroniques, même en l’absence d’aucun autre dommage rénal, y compris protéinurie », remarque le professeur de clinique Pierre Delanaye, du département de néphrologie, dialyse et transplantation du CHU de Liège, lors du congrès de la RBSLM (Royal Belgian Society of Laboratory Medicine) en novembre 2020. Or, « après 65 ans, une large proportion de personnes possèdent un DFG inférieur à 60 mL/mn bien qu’elles soient en bonne santé », insiste-t-il.
Des nouveaux seuils
L’équipe du Pr Delanaye a calculé que chez les patients âgés, le risque de mortalité est augmenté lorsque le DFG est inférieur à 45 mL/mn, alors que pour les plus jeunes patients (18-54 ans), le risque de mortalité est augmenté dès que le niveau de DFG est inférieur à 75 mL/mn. Selon les résultats publiés dans le Journal of American Society of nephrology1, il apparaît que la définition de la maladie rénale chronique devrait actuellement être adaptée à l’âge, avec différents paliers. Le seuil resterait de 60 mL/mn pour les personnes entre 40 et 60 ans. « Mais, pour les patients âgés de plus de 65 ans, affirme Pierre Delanaye, le seuil de 45 mL/mn devrait être la nouvelle définition de maladie rénale chronique ». Avec cette nouvelle définition, la prévalence de la maladie rénale chronique est diminuée de moitié dans la population plus âgée.
Équations pour estimer la filtration glomérulaire
« La relation entre créatinine du sérum et débit de la filtration glomérulaire est une relation hyperbolique, et non pas linéaire », rappellent Pierre Denalaye et Jean-Michel Halimi. C’est la raison pour laquelle la créatinine n’est pas utilisée seule dans la plupart des cas pour le diagnostic de maladie rénale, mais doit être prise en compte dans une équation basée sur la créatinine. Plusieurs équations existent : le Cockcroft (clearance estimée de la créatinine)2, utilisée depuis les années 1970, la MDRD (Modification of Diet in Renal Disease)3, publiée en 2000, la CKD-EPI (Chronic Kidney Disease Epidemiology)4, apparue en 2009 et actuellement recommandée par le KDIGO.
« Depuis, il y a eu aussi le BIS15 et le FAS (full-age-spectrum)6, deux éléments intéressants, qui prennent en compte l’âge et sont sans doute meilleurs que le CKD-EPI et le MDRD », souligne Jean-Michel Halimi. Il estime que les biologistes sont susceptibles d’adopter ces nouvelles équations dans leur pratique. L’équation FAS (Full age spectrum), ainsi, est adaptée à toutes les classes d’âge, avec une formule qui comprend la créatinine, l’âge et un paramètre qui s’appelle Q (Q est en µMol et dépend de l’âge et du sexe).
En décembre 2020 a été présentée une nouvelle forme du FAS, comportant de petites modifications qui améliorent cette équation chez les sujets de plus de 10 ans. Récemment, la formule EKFC (The European Kidney Function Consortium Equation) a été publiée7 : cette évolution de la formule FAS prend aussi en compte le facteur Q et augmente la précision de l’estimation du DFG.
« Au 31 décembre 2017, l’Assurance maladie s’est aperçue que, finalement, le dépistage de la maladie rénale restait très faible », souligne le Pr Halimi. Ainsi, 50 % des médecins dépistaient moins de 6 % de leurs patients hypertendus. Désormais, la recherche annuelle de protéinurie et de micro-albuminurie et la créatinine est recommandée chez ces patients. La dégradation de la fonction rénale chez les patients diabétiques peut être extrêmement rapide. Et plus l’âge augmente, au-dessus de 80 à 90 ans, plus la population est à risque d’avoir un DFG anormal, en particulier s’ils sont diabétiques. « La fonction rénale du sujet âgé rentre dans le domaine des réalités paradoxales », estime Jean-Michel Halimi. En effet, la prévalence de l’insuffisance rénale chronique est surestimée, étant donné que la créatinine dépend beaucoup de la masse musculaire et que celle-ci est plus réduite chez le sujet âgé (on pourrait donc conclure que le risque rénal est très faible) mais les patients âgés qui ont une insuffisance rénale chronique peuvent dégrader leur fonction rénale avec le temps et parvenir au stade d’insuffisance rénale terminale ! Chez beaucoup de patients qui ont un DFG anormal, la fonction rénale va continuer à s’aggraver au cours du temps. Aussi, il est essentiel, à partir du moment où un médecin a une interrogation sur le plan rénal (protéinurie ou créatinine anormale, et non pas un DFG bas chez le sujet âgé), de recourir à l’avis d’un néphrologue.
Les biologistes ont déjà beaucoup œuvré pour améliorer le dépistage et le suivi de la fonction rénale. Ils ont harmonisé complètement les tests dans presque toute la France, via notamment un dosage avec méthode enzymatique. « Chacun devrait jouer un rôle de vigie vis-à-vis du patient, qu’il s’agisse du pharmacien, du biologiste, du médecin« , fait remarquer le Pr Halimi. Une créatinine anormale doit absolument faire l’objet d’un suivi. Il serait possible d’imaginer que le biologiste puisse décider de demander des contrôles chez un patient pour lequel a déjà été détectée une fonction rénale altérée.
Références
- Delanaye et al., J Am Soc Nephrol. 2019 Oct; 30(10): 1785-1805.
- Cockcroft DW, Gault MH, Nephron. 1976; 16(1): 31-41.
- Levey et al, 2000. J am Soc Nephrol. 11: 155 A.
- Levey et al, 2009. Ann Intern Med. 150: 604 – 612.
- Schaeffner et al., Ann Intern Med. 2012 Oct 2; 157(7): 471-81.
- Pottel et al, Journal of Nephrology, 2015.
- Pottel et al., Ann Intern Med. 2021 Feb; 174(2): 183-191.