Le poolage, un outil pour le dépistage de masse ?

Les tests groupés font-ils diminuer la sensibilité et augmenter le risque de faux négatifs ? Quelle est la pertinence de ces tests pour le dépistage de masse ? Quelle serait la taille de groupe optimale ? Y a-t-il un effet du statut épidémique sur la charge virale observée dans la population ? Pour répondre à ces questions, Vincent Brault, statisticien et maître de conférences au labo Jean Kuntzmann à Grenoble, Bastien Mallein, maître de conférences en mathématiques à l’université Sorbonne Paris Nord, et Jean-François Rupprecht, chargé de recherche CNRS à l’institut Centuri et au centre de Physique théorique de l’université d’Aix-Marseille ont rejoint, dès mars 2020, le groupe de travail d’experts en la modélisation sur le Covid-19, MODCOV19. « Nous avons décidé d’appliquer notre expertise mathématique pour évaluer si la technique du pooling pouvait être utilisée pour le dépistage de masse, avec l’objectif de détecter les infections précoces et asymptomatiques », témoigne ce dernier. Leurs résultats ont été publiés le 4 mars 2021 dans PLOS Computational Biology1.

Quelles indications ?

De fait, s’il n’est pas recommandé à des fins de diagnostics par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) dans son avis du 11 septembre 2020, le poolage, qui consiste à regrouper des échantillons de prélèvements salivaires ou nasopharyngés dans le but d’effectuer une RT-PCR groupée de détection du virus SARS-CoV-2, pourrait présenter un réel intérêt épidémiologique pour la détection précoce du virus dans une communauté, et ce d’autant plus que la prévalence est basse2.

Ainsi, dans son avis du 17 décembre 2020, mis en ligne le 15 janvier 2021, le HCSP (Haut Conseil de la santé publique) recommande : « de n’envisager le poolage (de 5 à 10 échantillons) des échantillons que lorsque la prévalence de l’infection parmi la population testée est de moins de 5 % et à condition que cette pratique ne soit pas à l’origine d’un allongement des délais de rendu des résultats et d’une désorganisation du fonctionnement des laboratoires ».

Le poolage « est une technique de diagnostic de masse dont l’objectif est de permettre de tester un plus grand nombre d’individus – quitte à prendre un risque accru de faux négatifs, notamment celui de ne pas détecter certains individus à faible concentration virale -. Cette problématique n’est pas spécifique au pooling mais est également rencontrée pour d’autres techniques comme les tests antigéniques », définit Jean-François Rupprecht. L’intérêt de ces tests de dépistage par pool est de détecter précocement la présence du virus dans une communauté, « afin de mettre en place des mesures préventives dès qu’un groupe est testé positif, même si la personne est asymptomatique, et ainsi de réduire la durée de propagation silencieuse de l’épidémie », présente Jean-François Rupprecht. Ainsi, « des protocoles de surveillance basés sur la mise en commun des échantillons ont été mis en œuvre dans plusieurs universités des États-Unis, notamment à l’université de Duke et dans 64 campus universitaires de la State University of New York (dont celui de Cornell), mais aussi à l’université de Liège (Belgique), ainsi qu’aux universités de Nottingham et de Cambridge (Royaume-Uni)3 », ajoute-t-il.

Diverses concentrations ?

Les coauteurs ont donc cherché à modéliser la distribution de la charge virale (Ct) dans la population, en partant de résultats de tests RT-PCR obtenus à partir de prélèvements nasopharyngés ou salivaires publiés dans la littérature (voir figure). « Ce qui nous a frappés, c’est la très grande dispersion de la concentration virale mesurée, que ce soit dans les prélèvements nasopharyngés ou salivaires ; dans toutes les bases de données cliniques larges que nous avons regardées, nous avons systématiquement remarqué la présence de deux populations, l’une correspondant à des concentrations proches de la limite de détection de la machine RT-qPCR utilisée et l’autre, au contraire, très largement supérieure », décrit Vincent Brault, qui s’est appuyé sur son expertise en statistique pour définir un modèle de gaussienne censurée, jusqu’à présent non utilisé pour ces données cliniques. « Si le pic associé aux fortes concentrations virales ne devrait pas affecter les capacités de détection après poolage, le pic proche de la limite de détection nous a inquiétés, car cela tendrait à vouloir dire qu’il y aurait un risque accru de faux négatifs même pour des pools de taille faible par rapport aux tests de diagnostic individuels RT-qPCR », alerte-t-il.

Sensibilité et faux négatifs : quelle solution ?

Cependant, pour aller plus loin et interpréter si ce résultat correspond à des infections anciennes ou récentes « il faudrait avoir accès à l’ensemble des caractéristiques des individus testés et, en particulier, aux informations sur la date de contamination », regrette le statisticien. En effet, la charge virale dans la population dépend de beaucoup de facteurs, dont le taux de croissance de l’épidémie « en phase de décrue épidémique, on s’attend à une plus forte proportion de personnes avec des infections anciennes dont les prélèvements auraient une faible charge virale, ce qui affecterait particulièrement le taux de faux négatifs mesuré par poolage par rapport aux tests individuels de diagnostics », précise-t-il.

Définir la taille idéale du pool

Les chercheurs se sont ensuite donnés comme objectif de quantifier la baisse de sensibilité et d’estimer la taille de groupe optimale de tests groupés pour un programme de dépistage ciblé en communautés fermées. « Le risque de faux négatifs dépend de la taille du pool, c’est-à-dire du nombre d’échantillons mélangés. Si une personne est contaminée dans un groupe de 10, on s’attend à une dilution de 10, mais heureusement, cela n’a pas pour effet de diminuer la sensibilité d’un facteur 10. La perte de sensibilité évolue suivant une loi logarithmique : plus le groupe est grand, moins nous allons perdre à ajouter une personne dans le groupe », explicite Vincent Brault.

Pour illustrer leurs travaux, les coauteurs ont pris l’exemple d’un campus universitaire de 4 000 personnes, au sein duquel 20 personnes seraient infectées.

« Nous estimons que nous avons environ 80 % de chances de détecter cette épidémie en moins de trois jours avec des tests quotidiens et aléatoires sur des échantillons issus de 256 personnes différentes et analyses en 16 pools de 16 (ce qui permet d’effectuer un seul cycle de RT-PCR par jour, avec une grille de 96 puits). La perte de sensibilité estimée est de 20 % dans ce calcul – même si des protocoles de digital droplet PCR (ddPCR) permettent d’obtenir dans des groupes de 16 une sensibilité équivalente à celle d’une RTqPCR individuelle4 -», détaille Jean-François Rupprecht.

« Au-delà de l’objectif consistant à briser les chaînes de transmission, nous constatons que les pools sont extrêmement efficaces pour estimer la fraction virale des individus positifs (la prévalence) », se réjouit le physicien.

« Nous présentons un ensemble de procédures pour détecter si le virus circule dans une communauté et, le cas échéant, pour y estimer la prévalence. Nous pouvons envisager que ces outils mathématiques soient utilisés dans une application qui fasse le lien avec une base de données épidémiologique pour aider des praticiens à définir des tailles de groupe en vue d’un poolage », concluent les chercheurs, qui envisagent également des tests massifs par poolage.

« Cela pourrait être particulièrement utile pour des milieux clos tels que les universités ou les écoles, pour qui une mesure régulière de la prévalence (notamment des variants) permettrait d’adapter les mesures de prévention épidémiques ; certaines universités américaines ont ainsi défini des seuils de prévalence au-delà duquel les cours en amphithéâtres doivent être remplacés par des cours en ligne », affirment-ils.

Références

  1. Vincent Brault, Bastien Mallein, Jean-François Rupprecht. PLOS Computational Biology, 2021 Mar 4; 17(3).
  2. Mutesa, et al., Nature,  2021 Jan; 589(7841):2 76-280.
  3. Page de suivi des cas (Covid Tracker) de la State University of New York: https://www.suny.edu/covid19-tracker/
  4. High-sensitivity COVID-19 group testing by digital PCR, Martin et al.arxiv, 2020.
  5. Jones, et al., An analysis of sars-cov-2 viral load by patient age. medRxiv, 2020