Quelle interprétation des valeurs de Ct de la PCR Covid-19 ?
Derrière les résultats de RT-PCR de dépistage du Sars-CoV-2 communiqués aux patients (positifs, faiblement positifs, négatifs, inexploitables), se trouvent les valeurs quantitatives de Ct. Ces valeurs traduisent le nombre de cycles de RT-PCR nécessaires à la détection de l’ARN cible, et sont donc en théorie inversement corrélées à la charge virale dans l’échantillon. Mais elles sont très variables et « ne signifient pas grand-chose à l’échelle individuelle », explique Samuel Alizon, directeur de recherche au CNRS, laboratoire Migevec, lors d’un webinaire de la SFM (Société française de microbiologie) du jeudi 27 mai 2021. De fait, ces valeurs dépendent de nombreux facteurs tels que le type et la qualité du prélèvement, la technique d’extraction de l’ARN (kit et/ou machine utilisée), les protocoles et réactifs de rétrotranscription, les réactifs et le protocole de PCR, la région génomique visée, etc.
« La loi des grands nombres pourrait-elle compenser cette variabilité des Ct ? », interroge Samuel Alizon. Le chercheur s’est alors associé à 24 laboratoires pour analyser plus de deux millions de tests RT-PCR Sars-CoV-2 réalisés en France1.
La construction d’un modèle linéaire a permis de mettre en évidence que, en moyenne, plus le nombre de jours après les symptômes est élevé lorsque le test est effectué, plus les valeurs de Ct augmentent ; « ce qui est cohérent avec la diminution de la charge virale », commente le chercheur. De même, les Ct sont globalement plus faibles chez les personnes âgées, chez qui la charge virale est plus forte que chez les jeunes. En revanche, aucun effet significatif sur le sexe n’a été détecté. Par ailleurs, « les coronavirus ont un cycle de vie particulier et produisent beaucoup d’ARN subgénomiques qui ne contiennent qu’une portion du génome. Les RT PCR ne distinguent pas les ADN génomiques des ARN subgénomiques. Il serait donc cohérent de trouver des Ct différents en fonction des régions génomiques visées. Et c’est bien ce que l’on a trouvé, avec des valeurs de Ct plus élevées pour les gènes en 5′ », décrit le Dr Alizon.
Les chercheurs sont allés plus loin, en investiguant sur une corrélation entre les valeurs de Ct et le nombre de reproduction temporel (Rt) de l’épidémie, c’est-à-dire le nombre moyen d’infections secondaires engendrées par une personne infectée (contrairement au R0, le Rt prend en compte l’immunisation de la population et les mesures barrières). Ils ont ainsi mis en évidence que plus le R0 est élevé au moment où le test est effectué, plus la valeur de Ct est faible.
« Ces résultats sont cohérents avec les théories classiques en dynamique des populations. Quand l’épidémie commence, on dépiste plus de personnes au début de leur infection (donc avec une charge virale forte), et en fin d’épidémie la majorité des personnes sont dans la phase tardive de leur infection avec une charge virale plus faible. Il est donc logique de voir les valeurs de Ct augmenter au fur et à mesure que l’épidémie régresse », détaille Samuel Alizon.
La prise en compte de ces valeurs pourrait donc améliorer les prévisions à court terme de la dynamique de l’épidémie « et notamment les prévisions des hospitalisations à sept jours », précise-t-il. Cela ouvre de nombreuses perspectives telles que « suivre des régions françaises en particulier, analyser des dynamiques intra-patients ou des séries temporelles plus longues, sachant que les Britanniques le font déjà depuis un an », projette le chercheur.
Le variant V1 infectieux plus longtemps
Dans une autre étude réalisée en collaboration avec les laboratoires Cerba et le CHU de Montpellier sur plus de 8 000 personnes ayant été testées au moins deux fois, l’équipe de Samuel Alizon a analysé les relations entre les valeurs de Ct et les variants V1 (ou alpha, dit britannique), V2 (ou beta, dit sud-africain) et V3 (ou gamma, dit brésilien)2.
Ces analyses menées par le doctorant Baptiste Elie ont porté sur plus de 40 000 PCR de criblage effectuées entre le 8 février et le 20 mars 2021. Elles ont mis en évidence un pic de charge viral plus élevé pour les variants V1, V2 et V3 que pour le virus d’origine, avec pour le variant V1 une corrélation avec l’âge et des infections plus longues. « Au cours de l’infection, les valeurs de Ct augmentent. La décroissance est plus lente avec le variant V1, les personnes sont donc infectieuses plus longtemps (0,9 jour) », analyse le Dr Alizon. Il y aurait donc bien un avantage épidémiologique du variant V1, d’autant plus important que la population du pays est âgée.
Références
- Alizon et al.,Epidemiological and clinical insights from SARS-CoV-2 RT-PCR cycle amplification values. Preprint. MedRxiv, mars 2021.
- Elie et al. Inferring SARS-CoV-2 variant within-host kinetics. Preprint. MedRxiv, mai 2021.