Covid 19 : Bilan et perspectives
Au printemps 2020, Biologiste infos avait rencontré les acteurs de terrain, de ville et hospitaliers, dans les régions les plus touchées par la pandémie, pour recueillir leurs témoignages « sur le vif » (lire Biologiste infos n°105). Plus d’un an après, des millions de tests de dépistage ont été réalisés et la profession s’est adaptée et réorganisée en profondeur pour faire face à ce nouveau virus. Avec le recul, quel bilan peut-on tirer aujourd’hui ? Quels outils les laboratoires privés comme publics ont-ils mis en place ? Que peut-on dire de la performance clinique des tests de dépistage ? Et enfin, quelles projections peut-on faire concernant l’avenir de la biologie médicale ?
Évaluer la performance clinique des tests de dépistage Covid-19
De nombreux tests de dépistage du Sars-CoV-2, RT-PCR, sérologiques ou antigéniques, ont été développés dès le début de l’épidémie. Retour sur ces tests, leurs cibles, leurs performances et perspectives d’amélioration.
Le virus du Sars-CoV-2 s’est répandu très rapidement dans les débuts de l’année 2020. En parallèle, dès janvier 2020, le génome complet du Sars-CoV-2 était disponible. Au cours des semaines qui ont suivi, la structure de la protéine Spike du virus était dévoilée1. Ces avancées ont permis le développement rapide de tests de dépistage alors même que l’Organisation mondiale de la Santé déclare officiellement en mars 2020 que la Covid-19 constitue une pandémie et martèle : « Nous avons un simple message pour tous les pays : ‘tester, tester, tester !’ ».
Définir les priorités
Tous les pays devaient en effet être capables de tester l’ensemble des cas suspects, afin d’isoler les cas positifs et casser les chaînes d’infections. « Cette crise sans précédent est un énorme défi pour toutes les nations du monde et crée des opportunités inédites pour les professionnels des laboratoires, un tel développement de tests sur le marché est historique », témoigne la professseure australienne Andrea Horvath, membre de la Task force de l’IFCC (The International Federation of Clinical Chemistry and Laboratory Medicine) sur la Covid-19, à l’occasion du congrès virtuel organisé par cette institution. Ainsi, en février 2021, on dénombre pas moins de 1 100 tests différents recensés au niveau mondial. Mais comment évaluer la performance de ces tests ?
« Pour cela, il faut dans un premier temps connaître ce qui est mesuré exactement dans les différents appareillages, soit l’ARN viral, les antigènes viraux, les anticorps, les composés organiques volatiles, les peptides, voire la température », indique Patrick Bossuyt, professeur d’épidémiologie clinique à l’université d’Amsterdam. Il est tout aussi essentiel de recenser les objectifs, variés, de la détection du Sars-CoV-2 : prise en charge des cas symptomatiques, traçage des contacts chez les asymptomatiques, ou restriction d’accès pour les asymptomatiques aux écoles et au travail, ceux-ci devant observer un confinement strict à la maison. Les tests de masse permettent, eux, de mieux comprendre l’épidémiologie de la maladie, d’évaluer l’immunité collective, et rendent possible la surveillance de la réponse à la vaccination, aidant à établir des priorités. « Les cibles de ces tests varient : des symptomatiques aux cas contacts, en passant par les asymptomatiques, les patients hospitalisés, les enseignants, les enfants scolarisés, et finalement l’ensemble de la population », souligne le Pr Bossuyt. Et le spécialiste d’insister : « Lorsque des personnes présentent des symptômes qui pouvaient suggérer que la Covid-19 était présente, la question est alors ‘sont-elles infectées ?’ Mais dans un second cas des tests, chez les personnes sans symptômes, la question cible n’est plus ‘sont-elles infectées’ mais ‘sont-elles infectieuses ?’ En effet, elles pourraient infecter les autres ». Finalement, Patrick Bossuyt s’interroge : « Quel est le test de référence standard pour ces personnes infectieuses ? Je ne pense pas que la communauté scientifique ait, à la date de février 2021, une réponse à cela ».
Analyser les tests
Pour évaluer les performances cliniques, et donc la précision du diagnostic, la FDA (Food Drug Administration) a émis des recommandations concernant les données nécessaires pour valider un diagnostic moléculaire du Sars-CoV-22. Par ailleurs, deux chercheurs anglais de l’université de Birmingham, Jon Deeks et Jac Dinnes, ont évalué la précision de certains tests de dépistage de la Covid-19 à travers deux revues, l’une analysant les tests sérologiques3, la seconde les tests antigéniques4. Elles se sont appuyées sur une base de données de l’université de Berne. Ainsi, 124 889 publications concernant la Covid-19 étaient enregistrées fin février 2021. « Nous avons commencé par tout passer au crible. Puis, début mai 2020, nous avons introduit l’intelligence artificielle basée sur les textes, afin d’identifier les publications davantage liées aux questions diagnostiques », expliquent Jon Deeks et Jac Dinnes. La plupart des études ont été menées sur des patients hospitalisés.
Au niveau mondial, 316 tests sérologiques commerciaux étaient répertoriés en janvier 2021, dont 240 marqués CE. La majorité des tests (61 %) pour lesquels des données sont disponibles sont basés sur les techniques Elisa ou la technique immunoluminométrique Clia, et requièrent des échantillons de sang veineux. Quant aux autres (39 %), il s’agit de tests Point of Care, utilisant des tests de flux latéral (également appelés dosages immunochromatographiques à flux latéral) sur du sang veineux ou du sang piqué au bout du doigt. On relève que les tests sérologiques montrent une sensibilité faible, mais s’avèrent d’une spécificité proche des 98 à 99 %. Ainsi, pendant la première semaine d’apparition des symptômes, la sensibilité estimée de ces tests est seulement de 30 % pour les tests IgG ou pour les tests combinant IgG et IgM. « Cela a donc prouvé clairement que les tests sérologiques ne doivent pas être utilisés en tant que tests diagnostiques », concluent les auteurs.
Quant aux tests antigéniques, ils s’élevaient, à la date du 5 janvier 2021, à 129, au niveau mondial5. Une approbation réglementaire a été délivrée à 92 d’entre eux. Dans leur revue, les chercheurs ont mis en évidence une très grande spécificité des tests antigéniques à travers 48 études portant sur 16 tests et sur 20 168 échantillons, dont 5 666 échantillons positifs par RT-PCR.
« Comment améliorer l’évaluation des tests ? », s’interroge Jenny Doust, professeure à l’école de santé publique de l’université de Queensland. Pour répondre à cette question, et mieux évaluer les études portant sur la performance des tests, un groupe de travail composé de spécialistes d’évaluations de tests diagnostiques, d’experts en statistique, chimie clinique et en biologie a défini « un cadre en huit étapes en cas d’infection présente ou passée au Sars-CoV-2 », détaille Jenny Doust. Ces étapes sont : définir l’objectif du test, la cible, la population chez laquelle le test va être évalué, décrire l’index du test, le choix des tests comparés, définir la référence standard, analyser et présenter les résultats, et enfin, enregistrer de façon prospective le protocole de l’étude.
Cette recherche s’est notamment appuyée sur une étude menée par l’équipe de Patrick Bossuyt en 20156 sur les items essentiels devant figurer dans les études rapportant la précision d’un test diagnostic. Ainsi, le titre ou le résumé doit comprendre au moins une mesure de précision (telles que la sensibilité, la spécificité, les valeurs prédictives ou l’AUC – Area Under an ROC Curve, soit l’aire sous la courbe ROC).
Par ailleurs, l’introduction doit contenir le contexte scientifique et clinique, le but du test et son rôle, ainsi que les objectifs et hypothèses de l’étude. La finalité, comme le rappelle Patrick Bossuyt, est in fine d’apporter aux cliniciens ou aux décideurs politiques les éléments dont ils ont besoin. « Si la sensibilité et la spécificité sont importantes, explique Jenny Doust, ce sont surtout les valeurs prédictives, le coût ou le TAT (turn around time) qui vont être les plus importantes pour les médecins et les décideurs ».
Jenny Doust rappelle que le test de référence standard demeure problématique dans le dépistage du Sars-CoV-2 et qu’il n’existe pas de solution idéale. Si beaucoup d’études utilisent la RT-PCR comme une référence standard, la sensibilité de cette dernière est moindre, très tôt au cours de l’infection ou si la charge virale est trop basse. De plus, la limite de détection varie entre les différents tests PCR. « Le mieux, conclut Jenny Doust, est probablement une combinaison de toutes les informations cliniques, comme les symptômes et les signes (fièvre et toux), la détection de l’ARN viral par RT-PCR de façon très précoce, ou plus tard, des anticorps dirigés contre les protéines virales, et l’imagerie (CT-scan) ». La scientifique de Queensland rappelle également la recommandation de l’OMS, en date du 13 janvier 20217, ayant pour but de réduire les faux positifs, qui suggère : « Quand les résultats des tests ne correspondent pas avec la présentation clinique, il est recommandé de prélever un nouvel échantillon et de tester à nouveau, en utilisant la même technologie ou une technologie différente basée sur les acides nucléiques ».
Quels tests pour quelles applications?
Les tests de détection de la COVID-19 diffèrent de multiples façons : d’abord, au regard de la technique employée, mais également en termes d’acceptabilité par le patient, de délai d’exécution, de logistique, de formation nécessaire pour les pratiquer, de coûts… Il existe ainsi des tests RT-PCR, antigéniques, sérologiques. Mais cela ne s’arrête pas là : dans les premiers jours de la pandémie, de nombreux pays cherchés à détecter la présence l’existence de fièvre chez les voyageurs dans les aéroports. Dans les hôpitaux, le scanner a permis d’évaluer les patients suspectés de COVID-19. Les Pays-Bas ont également introduit des tests de la respiration, au moyen d’appareils tel que le Breathomix. De nombreuses applications de la spectrométrie de masse ont été développées. Par ailleurs, sont apparus des tests basés sur la salive, l’odorat (le professeur Serge Antonczak, de l’institut de chimie de Nice a ainsi précisé à l’AFP que la finalité de tels tests était de ” venir en appui d’autres symptômes, la température ou le mal de tête, à la grosse différence près que la perte d’olfaction, partielle ou anosmie totale, est précoce et présente chez 60 à 80% des sujets atteints par le virus “). La Finlande a, pour sa part, utilisé des chiens pour évaluer les passagers présentant des suspicions de COVID-19. Enfin, le détecteur non invasif appelé détecteur de virus QuBA (Quick Breath Analyser) est un test respirateur novateur, qui ne produit pas de déchet et permet d’évaluer, sans écouvillonnage nasal dans le nez et la gorge, les patients suspectés de COVID-19.
Agnès Bourahla-Farine
Références
- Wrapp et al.,Science 2020 Mar 13; 367(6483): 1260-1263.
- https://www.fda.gov/medical-devices/coronavirus-disease-2019-covid-19-emergency-use-authorizations-medical-devices/in-vitro-diagnostics-euas-molecular-diagnostic-tests-sars-cov-2
- Deeks et al.,Cochrane Database Syst Rev. 2020 Jun 25; 6(6): CD013652.
- J. Dinnes et al.,Cochrane Database Syst Rev. 2021 Mar 24; 3(3): CD013705
- https://www.finddx.org/covid-19/pipeline/
- Bossuyt et al.,BMJ. 2015 Oct 28; 351: h5527.
- WHO Information notice for IVD users 2021/01.
Les débuts de la crise : Bichat partage son expérience
24 janvier 2020 : l’hôpital Bichat (Paris) identifie les deux premiers malades du Sars-CoV-2 en France (en même temps que Bordeaux hospitalise un troisième patient). C’est le point de départ d’une crise face à laquelle l’établissement a heureusement pu s’appuyer sur des méthodes déjà installées et des habitudes de travail interservices solides.
Sur n’importe quel hôpital, « entre 20 et 80 % des admissions viennent des urgences. Si on met n’importe quel patient dans un service, on fait prendre des risques à tous les patients du service et, bien sûr, au personnel de santé », rappelle le Pr Enrique Casalino, chef de service des urgences de Bichat. Pour éviter cela, son service avait déjà mis en place des procédures : « Dans le cas de la grippe, dès l’accueil des urgences, toute personne symptomatique doit porter un masque. Puis, tout au long du circuit, le patient est mis en isolement soit dans un box, soit par le port d’un masque », détaille-t-il. Le SAU (service d’accueil des urgences) avait aussi l’habitude de réaliser des RT-PCR grippe multiplex. Le Covid s’y est donc ajouté. Pour la genèse du projet, « il était essentiel que ce projet de biologie délocalisée soit un projet de qualité. Cela s’intégrait dans une stratégie de management avec un renforcement positif des équipes de soins, personnels médicaux et non médicaux des urgences qui se sentaient valorisés par leur rôle et leur identité ». Autre atout : « Nous avions aussi une culture de travail commune entre les urgences, les maladies infectieuses, la virologie, l’unité d’hygiène et tous les services de médecine et de chirurgie. Nous devons être un des rares services d’urgences où les virologues rentrent et sortent, viennent voir nos machines… Nous sommes vraiment dans une relation de confiance et de partage très proche ».
Une très forte mobilisation des services face aux nombreuses difficultés
Mais lorsque le Sars-CoV-2 est arrivé, des difficultés ont émergé. La première, dans la logique d’identification et d’isolement précoce, était la définition des cas qui a beaucoup changé et « lorsque la notion des cas asymptomatiques a pris de l’importance, tout le monde était suspect de pouvoir être un cas contaminant », rappelle le médecin. Faute de lits en nombre suffisant en réanimation, les urgences ont aussi eu à prendre en charge des cas sévères ou intermédiaires, et des patients en soins palliatifs. Ce qui a demandé une profonde réorganisation du travail.
Le Pr Diane Descamps, cheffe de service du laboratoire de virologie de l’hôpital Bichat se souvient quant à elle des toutes premières PCR Covid : « Le virus était alors de classe 3, nécessitant pour les manipulations un laboratoire de classe L3, et la PCR reposait sur une technique de l’OMS non commerciale et non automatisée. Son débit était limité et exigeait un nombre important de techniciens dédiés ». Le virus sera heureusement déclassé le 21 février, rendant possible à davantage de laboratoires la réalisation des tests. Dans l’urgence de la première vague, la collaboration avec l’Ageps (Agence générale des équipements et produits de santé de l’AP-HP) et la Collégiale de virologie parisienne permet de pallier la tension majeure et mondiale sur les réactifs en multipliant les systèmes de tests, en s’adaptant et se réorganisant quotidiennement et en réalisant de nombreuses mises au point et évaluations en urgence. Les biologistes du site se sont mobilisés, mais aussi le personnel de recherche du laboratoire de virologie qui se joint à l’effort et implémente de nombreuses techniques. En mai, c’est au tour des tests sérologiques d’être déployés, puis le service de virologie met au point la culture virale et le séquençage du génome complet. En décembre 2020, la virologue retient de cette expérience l’importance des ingénieurs pour les évaluations et envisage un renforcement pérenne de leurs effectifs pour anticiper une nouvelle vague ou l’émergence de tout nouvel agent infectieux.
La valse des évaluations dans la tourmente et l’urgence en lien avec le CNR (Centre national de référence) et l’Ageps (Agence générale des équipements et produits de santé de l’AP-HP) lors de la première vague.
Process, cellules de crise… et réorganisations
Le Pr Xavier Lescure, chef adjoint du service des maladies infectieuses et tropicales de Bichat, tient à rappeler de son côté le contexte, fin 2019, d’une « crise structurelle de l’hôpital public », mais se souvient aussi des tout premiers patients identifiés à Bichat qui ont fait l’objet d’une publication1 qui montre de façon « presque caricaturale » les trois types de profils. La suite a été « une montée en charge extrêmement importante », se souvient encore le spécialiste : « On mettait en place des organisations dont on savait qu’elles n’allaient tenir que 4 à 5 jours ».
Dès ce 24 janvier, Bichat tient des cellules de crise quotidiennes pendant 4 mois, puis les espace un peu avant de les rapprocher à nouveau lors de la 2e vague. Sans compter les cellules de crise AP-HP, les réunions stratégiques au siège de l’AP-HP, les réunions quotidiennes du groupe Coclico, pour Collectif de cliniciens de la Covid, un groupe pluridisciplinaire incluant infectiologues, virologues, réanimateurs, pneumologues, internistes mais aussi l’ANSM et la DGS. Au menu de leurs réunions quotidiennes et aujourd’hui hebdomadaires : partage d’expériences cliniques, d’angoisses existentielles au début, de procédures de prise en charge ensuite, de documents, échanges directs entre cliniciens de terrain et autorités de santé, mise en place d’études… Il retient aussi l’importance des outils digitaux « qui nous ont beaucoup soulagés » comme Covidom2 et de l’articulation ville-hôpital « avec toujours, la conscience que plus l’hôpital serait solide, moins l’impact sociétal serait important ». Le Covid-19 a ainsi été « un exemple de ce qu’un hôpital peut faire : sa capacité à innover des process, la capacité de ses équipes à se mobiliser », conclut le Pr Casalino.
Valérie Devillaine
Références
- Lescure et al., Lancet Infect Dis. 2020 Jun; 20(6): 697-706.
- Application de télésurveillance des patients à domicile.
Du diagnostic à la prévention
Comment les laboratoires privés font-ils face à la pandémie ? Quelles perspectives pour la profession ? Témoignage des principaux acteurs.
De gauche à droite : Dominique Lunte, présidente du réseau Les Biologistes Indépendants (LBI) ; Alain Le Meur, président de l’APBM ; Olivier Provost, directeur associé de l’Agence Rumeur Publique ; François Cornu, président d’Eurofins Biomnis et directeur médical d’Eurofins Clinical Diagnostics France. DR.
Adaptation, prévention, collaboration, innovation, proximité avec le patient… rythment le quotidien des laboratoires de biologie médicale depuis toujours, mais cela s’est fortement intensifié depuis le début de la pandémie. L’APBM (Association pour le progrès de la biologie médicale), qui fédère 85 % des laboratoires privés sur le territoire français, est revenue le 4 mai dernier sur la gestion de la crise et les évolutions à venir de la profession. « Les laboratoires privés de biologie médicale en France représentent 40 000 collaborateurs, 5 600 médecins et pharmaciens biologistes répartis sur 3 200 sites sur l’ensemble du territoire, et plus de 4 milliards d’euros d’activité », rappelle Alain Le Meur, médecin biologiste et président de l’APBM.
« En mars 2020, nous ne connaissions pas la virulence du virus, nous n’avions pas de masques, pas de réactifs, pas d’effectifs suffisants… Nous sommes partis de zéro avec un objectif de 700 000 tests par semaine fixé par le gouvernement. Cela nous a paru mission impossible, et toute la profession s’est mobilisée », se souvient Dominique Lunte, présidente du réseau Les Biologistes Indépendants (LBI). Les laboratoires ont ainsi fait face aux difficultés d’approvisionnement, de manque de personnel, d’organisation, jusqu’à atteindre un pic de 4 millions de tests réalisés en deux jours juste avant Noël. « Il a fallu nous réorganiser. Nous avons recruté, formé les équipes, travaillé en partenariat étroit avec tous les acteurs impliqués dans la pandémie », relate Georges Ruiz, président du Groupe Inovie. « Nous avons embauché plus de 50 % de personnel complémentaire », précise Stéphane Eimer, président de Biogroup. « La démarche qualité, les innovations digitales, l’amélioration continue, sans oublier l’écoute des besoins du patient, sont autant d’outils pour s’adapter à la crise tout en maintenant les tests de diagnostic de routine », résument les laboratoires Synlab.
Cette crise a révélé l’importance de la prévention et de l’innovation dans le parcours de soins. « La prévention préserve les ressources du système de soins, même si elle peine encore à trouver sa place », constate François Cornu, président d’Eurofins Biomnis. « Les innovations technologiques et techniques permettent d’améliorer la prise en charge des patients pour aller vers une médecine personnalisée », analysent les laboratoires Unilabs. Ainsi, « de plus en plus de tests de dépistage innovants sont développés, et le biologiste a un rôle de facilitateur », décrit Catherine Courboillet, présidente de Cerba HealthCare.
« Nous sommes en train de passer d’une biologie de diagnostic à une biologie de prévention, conclut Alain Le Meur. Demain verra l’avènement d’une biologie personnalisée, voire prédictive, qui accompagnera le patient tout au long de sa vie ».
Nadia Bastide-Sibille
Du Covid à l’après-Covid, quel avenir pour la profession ?
De gauche à droite : Bruno Lacarelle, président-conférence des chefs de pôle de Biologie-Pathologie des CHU ; François Blanchecotte, président du Syndicat des biologistes (SDB) et Alexandre Guenoun, fondateur & CEO de la start-up Kiro.
La crise a révélé l’importance du terrain et la forte adaptation de la profession. Mais les problèmes de fond demeurent bien présents. Bruno Lacarelle, François Blanchecotte et Alexandre Guenoun partagent leur vision de la biologie médicale privée et publique pour les années à venir.
« Le Covid a eu la vertu de remettre le biologiste médical au centre, constate Alexandre Guenoun, fondateur & CEO de la start-up Kiro. Les patients ont redécouvert la profession, la biologie médicale s’est enrichie de nouveaux outils, et les biologistes ont fait preuve d’une vraie capacité d’anticipation dans un contexte difficile de manque de visibilité. Le mot-clé ici, est ‘agilité’ ».
Passé le premier effet de sidération, les laboratoires se sont réorganisés dès mars 2020 face à la forte demande de tests de dépistage Covid-19 et à l’afflux de patients dans les hôpitaux. « La mise en place de tests PCR en urgence nous a tous concernés, laboratoires publics comme privés. La particularité de l’hôpital est qu’il a fallu aussi monter en charge très rapidement sur d’autres tests, d’hématologie ou d’immunologie, nécessaires à la prise en charge des patients atteints du Sars-CoV-2. Et équiper les services de réanimation d’appareils de biologie délocalisée a été indispensable », témoigne le Pr Bruno Lacarelle, président-conférence des chefs de pôle de Biologie-Pathologie des CHU. Les laboratoires privés ont eux été confrontés à la demande exponentielle de tests de dépistage, aux difficultés d’approvisionnement (matériels, réactifs), et à la nécessité de faire un retour sur les résultats. « Le système SI-DEP a permis à l’État et à Santé publique France d’avoir une vue en temps réel de l’évolution de la pandémie sur le territoire français », se réjouit François Blanchecotte, président du Syndicat des biologistes (SDB).
Tout confondu, « l’activité des laboratoires a doublé depuis 2019, même si la biologie courante a baissé de 3 % en 2020 », chiffre le président du SDB. Aussi, « 10 000 à 12 000 personnes ont été recrutées dans le privé, soit 30 % de personnel supplémentaire », précise-t-il. Mais la pénurie de techniciens de laboratoire rend ces embauches difficiles, surtout à l’hôpital. « Nous sommes autorisés à recruter, mais nous n’avons pas de candidats », déplore le Pr Lacarelle. Le privé a pu se tourner vers des profils issus de reconversions, contrairement au public. « Pour le moment, ce sont des CDD. Mais nous devrions réfléchir à la manière de pérenniser ce type de profils », affirme François Blanchecotte.
Depuis le début de la crise, « nous naviguons à vue », partage le Dr Blanchecotte. « Nous avons été freinés par les lourdeurs administratives. D’abord, par la sortie d’un arrêté définissant la tarification de ces nouveaux tests, puis avec le goulot d’étranglement de la HAS concernant les réactifs autorisés, se souvient-il. Il y avait une vraie méconnaissance de l’État concernant l’organisation des circuits de biologie sur les territoires ». Le Pr Lacarelle est en accord avec ce constat, qui pose une vraie question pour l’organisation de la biologie de demain. « Heureusement, face à la pandémie, l’étau administratif s’est un peu desserré, et on a fait beaucoup plus confiance aux médecins dans leur ensemble », décrit Bruno Lacarelle.
Et demain ?
« Il faut une crise comme celle-ci pour qu’enfin des moyens demandés depuis des années soient mis en place », résume Alexandre Guenoun. « Mais ces moyens ne sont pas à la hauteur des enjeux », regrette-t-il. Ainsi, « le référentiel Loinc utilisé pour le codage des données de biologie, créé en 1994, n’est déployé que depuis très peu de temps. Ce serait dommage que le nouveau protocole de données de santé, FHIR (Fast Healthcare Interoperability Resources), utilisé aux États-Unis ne parvienne chez nous que dans dix ans. Pour l’instant, nous ne faisons que rattraper les retards avec d’autres pays », insiste-t-il. « Notre désir d’innovation est bridé », constate le Pr Lacarelle. « La biologie innovante dont on a besoin pour demain n’est pas financée », surenchérit le Dr Blanchecotte. Cela est encore amplifié par les économies pour la biologie médicale qui se profilent suite à cette année de dépenses accrues. « Je m’attends, pour le mois d’octobre 2021, à une deuxième baisse des actes de biologie courante dans l’année et ce, pour la première fois depuis dix ans », projette le président du SDB. « Nous sommes dans une régulation prix-volume. Pourquoi ne pas miser sur le long terme, via le dépistage et la prévention ? », s’interroge-t-il. « Il n’y a pas de vraie réflexion médico-économique », déplore Bruno Lacarelle.
Dans ce contexte, « comment faire émerger le rôle du biologiste ? Faut-il séparer l’acte intellectuel de l’acte technique ? ». François Blanchecotte pose la question et s’inquiète de l’industrialisation de la biologie portée par de développement des grands groupes, à l’heure où une biologie européenne commence à voir le jour. « Nous sommes écartelés entre la biologie industrielle et la relation patient », constate-t-il. « La biologie hospitalière s’organise de plus en plus comme la biologie privée. L’industrialisation est inéluctable, mais il faut défendre la médicalisation du secteur », ajoute Bruno Lacarelle.
À ces problématiques s’ajoutent les enjeux de l’attractivité de la profession et de baisse prévisible des effectifs dans les années à venir. Même si « la biologie médicale va jouer un rôle prépondérant dans la biologie personnalisée », comme le rappelle Alexandre Guenoun, « de moins en moins de médecins, en particulier, souhaitent devenir biologistes. Un creux médical est à prévoir entre 2028 et 2033 et la profession risque d’en souffrir fortement. Il est déjà de plus en plus difficile de se conformer à la loi d’un biologiste par site », prévient le Dr Blanchecotte. « De vraies difficultés de remplacements de départs à la retraite se profilent », surenchérit le Pr Lacarelle.
Ce qui fait émerger le problème des régions isolées et de l’égalité de soin sur les territoires. « Tout ne peut pas être fait avec la biologie délocalisée », alerte François Blanchecotte. « Les nouvelles technologies, dont l’intelligence artificielle ou les drones, vont peut-être permettre de nous réorganiser en profondeur. Tout va se jouer dans les deux à trois ans », projette Bruno Lacarelle. « La demande de soins augmente en flèche alors que l’offre de soin tend à diminuer, et beaucoup d’autres challenges arrivent d’ici à 2030 », résume Alexandre Guenoun.
Une proposition, suggérée par François Blanchecotte et appuyée par Bruno Lacarelle, émerge avec la question suivante : « ne serait-il pas temps, dix ans après notre loi1, d’en refaire une nouvelle, pour construire un projet pour la biologie française qui vienne, cette fois, du terrain ? ».
Nadia Bastide-Sibille
Référence
- Ordonnance n° 2010-49 du 13 janvier 2010, dite ordonnance Ballereau