Informatique de laboratoire : les chantiers majeurs en 2022
Biologiste Infos : Le congrès de la SFIL reporté en mars 2023 est intitulé « La biologie médicale, pilier du numérique en santé ». La pandémie a-t-elle accentué cette place ?
Bruno Gauthier : Oui, grâce notamment au SI-DEP (Système d’Information de DEPistage) qui est une réalisation unique au monde. Cet outil a permis de piloter la pandémie de manière quotidienne et très fine. C’est une des raisons qui font que nous avons été largement moins confinés que d’autres pays. Le Ségur du numérique est aussi un révélateur de cette place centrale. Deux milliards d’euros ont été débloqués pour mettre à niveau l’ensemble de l’écosystème de santé afin qu’il puisse échanger et partager des documents via la messagerie sécurisée de santé (MS-Santé) et le dossier médical partagé (DMP). Nous nous sommes vite aperçus, en travaillant sur les différents couloirs (l’hôpital, la médecine de ville, la radiologie, le médico-social, la biologie et la pharmacie) que la biologie était très en avance sur la structuration des comptes rendus et sur l’utilisation des différents outils. En revanche, nous sommes en retard sur le sujet des échanges par messagerie sécurisée de santé. Ce retard n’est pas imputable aux biologistes, mais au fait que l’écosystème n’est pas encore suffisamment prêt pour recevoir des examens de biologie médicale. La MS-Santé est très utilisée dans les échanges ville-hôpital, mais l’est peu pour les échanges entre les laboratoires et leurs correspondants.
Quels sont les axes prioritaires identifiés par la SFIL pour 2022 ?
B. G. : Le gros sujet est la vague 2 du Ségur. Un des éléments qui sera très structurant est la prescription dématérialisée. Il va falloir revoir le circuit de la biologie pour inclure des éléments cliniques pertinents à recueillir au moment de la prescription. Un gros travail est à mener là-dessus. D’autres travaux en cours, pilotés par la DGOS (Direction générale de l’offre de soins), concernent la révision des flux de facturation entre les laboratoires, les cabinets de radiologie et les établissements de santé dans le cadre de la mise en place de la réforme des urgences. Un troisième sujet concerne le référentiel national d’identito-vigilance (RNIV). Des travaux sont en cours avec le Cofrac pour rendre opposables certaines exigences au niveau normatif. Le Cofrac souhaite que la SFIL rédige un document d’accompagnement pour la mise en place de ce référentiel, qui va beaucoup changer les habitudes des laboratoires au niveau organisationnel.
L’Agence du numérique en santé (ANS) et la DGOS souhaitent que l’INS soit portée dans au moins 80 % des communications entre acteurs de santé d’ici fin 2022. Cet objectif est-il atteignable pour les laboratoires ?
B. G. : Pour qu’il le soit, il faut que les laboratoires aient des versions Ségur-compatibles de leurs logiciels, mais ce n’est pas le seul prérequis. La première personne qui voit le patient, c’est le médecin prescripteur. S’il qualifie l’INS (Identité nationale de santé) en consultation, celle-ci sera indiquée en clair sur la prescription et via un datamatrix. Dans ce cas, il n’y aura aucun problème : toute la chaîne l’utilisera en aval. En revanche, s’il ne la récupère pas au moment de la prescription, ce sera plus compliqué pour les laboratoires. En effet, rien que pour vérifier l’identité, il faut voir le patient (pour vérifier une pièce d’identité) ou passer un contrat de confiance avec le préleveur or on sait que les biologiques médicaux ne voient jamais près de 40 % des patients. Pour atteindre l’objectif fixé, il est donc important que l’ensemble de l’écosystème joue le jeu.
Vous avez souligné l’importance du déploiement dans les laboratoires de logiciels compatibles Ségur. Les éditeurs sont-ils en capacité de tenir le rythme ?
B. G. : Il existe un vrai sujet de déploiement dans l’ensemble de l’écosystème car les délais sont extrêmement courts. Nous croisons les doigts pour qu’un maximum de logiciels soient déployés d’ici la fin de l’année, mais il est certain que nous ne serons pas à 100 %. Si on atteint 80 %, cela sera déjà génial. À mon avis, le déploiement sera plus facile dans les laboratoires de ville qu’à l’hôpital, car les hôpitaux sont concernés par plusieurs couloirs. Leur priorité sera le Dossier patient informatisé (DPI), puis la radiologie et/ou la biologie.
Comment voyez-vous l’avenir de SI-DEP ?
B. G. : SI-DEP va prendre fin avec la fin de la pandémie. Le projet d’entrepôt national de données biologiques, l’ENDB, auquel la SFIL participe également, devrait ensuite prendre le relais et servir au suivi des viroses respiratoires dont la grippe et la Covid, des maladies à déclaration obligatoire (MDO), mais aussi à faire remonter des informations sur le dépistage des MST, des cancers, etc.
L’ENDB sera la suite logique de SI-DEP. Nous devrions avoir terminé les spécifications d’ici avril. Au niveau de l’architecture, on va se servir du retour d’expérience de SI-DEP pour le construire. Nous nous servons aussi de ce retour d’expérience pour définir le cahier des charges. Avec l’ENDB, nous allons nous doter d’un outil extrêmement performant et utile en santé publique et pour la recherche médicale.
Cet entrepôt servira aussi en temps de crise car il sera évolutif. Il aura un fonctionnement nominal, qui nous permettra au quotidien de remonter toutes les informations des maladies qui vont être suivies – et pas uniquement des maladies infectieuses -, on peut très bien imaginer que l’on va suivre la plombémie, la résistance aux antibiotiques, l’anémie de la femme enceinte…
Mais en cas de nouvelle crise de type Covid-19, il pourra être utilisé pour la suivre au quotidien à l’instar de SI-DEP. Comme ce dernier, l’ENDB pourra envoyer les données vers les différentes agences, de manière anonyme ou nominative, les professionnels de santé pourront se connecter dessus, il enverra des informations aux patients… Tout cela est prévu dans le cahier des charges.