Les praticiens hospitaliers en grève
« La situation de l’hôpital public n’a jamais été aussi grave. L’hôpital public s’effondre par pans entiers » dénoncent le Snam-HP (syndicat national des médecins, chirurgiens, spécialistes, biologistes et pharmaciens des hôpitaux publics), l’INPH (intersyndicat national des praticiens d’exercice hospitalier et hospitalo-universitaire et la CMH (coordination médicale hospitalière) dans leur préavis de grève pour le 4 juillet. « Après l’hôpital Covid, nous sommes face à l’hôpital qu’on vide. La vraie urgence est de garder les praticiens hospitaliers » affirme Jean-François Cibien, président de l’APH (Action praticien à l’hôpital) lors de la conférence de presse donnée à l’occasion de la journée de mobilisation du 3 juillet. Les revendications du Snam-HP, l’INPH et la CMH d’une part et de l’APH d’autre part sont proche, la principale différence résidant sur les accords du Ségur de la Santé non signés par l’APH en 2020.
Rémunération et attractivité
Sur la table, de nombreux sujets suite à la suspension des négociations le 12 mai dernier. Le Snam-HP, l’INPH et la CMH insistent sur la nécessité « d’une augmentation générale de l’ensemble des rémunérations, de prendre en compte la 5ème plage pour valoriser la continuité des soins, le raccourcissement significatif de la durée de carrière et la finalisation des négociations sur la retraite et pour l’attractivité des Hospitalo-Universitaires ». L’APH de son côté revendique l’égalité entre les praticiens ayant bénéficié de la possibilité d’intégrer le statut de PH à l’échelon 4 suite aux accords du Ségur de 2020 (décret n° 2020-1182 du 28 septembre 2020) et les autres, ainsi que la valorisation de la permanence des soins. « La pénibilité des astreintes et des gardes et la fatigue engendrée doit être reconnue » milite le Dr Jean-François Cibien lors de la conférence de presse du 3 juillet. Cet évènement a été l’occasion de donner la parole à de nombreux syndicats membre de l’APH, pour détailler les enjeux auxquels fait face aujourd’hui l’hôpital public.
Démographie médicale en berne
« Suite à une garde ou une astreinte, 73,5% des praticiens interrogés estiment qu’ils ressentent une fatigue d’intensité moyenne à modérée selon une enquête menée en 2022. Les jeunes ne veulent plus travailler 24 heures d’affilée mais ils nous ont juste ouvert les yeux sur ce que l’on n’aurait jamais dû accepter de faire » explique le Dr Anne Geffroy-Wernet, présidente du SNPHAR-E (Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi) lors de la conférence de presse du 3 juillet. « Les anesthésistes-réanimateurs qui partent vers le privé le font davantage pour éviter la permanence des soins que pour la rémunération. L’hôpital se vide, c’est un véritable problème de santé publique » témoigne-t-elle. « En 20 ans, on observe une baisse de 20 à 30% du pouvoir d’achat des praticiens hospitalier. La démographie médicale est en berne, nous avons de réels problèmes de recrutement » quantifie le Dr Yves Rebufat, délégué général APH et président d’AH (Avenir Hospitalier). « Selon les chiffres du CNG publiés fin juin, seuls 30% des postes de PH vacants sont pourvus, c’est du jamais vu » s’inquiète Emmanuel Loeb, président de Jeunes médecins. Côté biologie médicale, une enquête récente du SNBH (Syndicat National des Biologistes Hospitaliers) mettait en évidence des difficultés de recrutement pour les deux tiers des praticiens hospitaliers. « L’obligation d’accréditation joue aussi sur l’attractivité. Les biologistes ont perdu leur métier » déplore le Dr Carole Poupon, présidente du SNBH.
Conséquences pour les patients
« Une surmortalité de 50 000 personnes a été observée l’an dernier. Notre combat est un combat social qui a des conséquences sur les malades quelques soit leur âge » s’indigne Patrick Pelloux, président de l’AMUF (association des médecins urgentistes hospitaliers de France). Une étude présentée lors du congrès Urgences 2023 fait état de « 46% de surmortalité chez les patients attendant sur un brancard dans les couloirs des urgences par rapport à ceux accueillis dans un lit. Et chez les patients dépendants, le nombre de morts est multiplié par deux » cite le Dr Agnès Ricard-Hibon, pour Samu-Urgences de France. « C’est notre devoir éthique de ne pas mettre les patients en danger. C’est une mortalité évitable inacceptable. Aujourd’hui et demain nous refuserons de prendre en charge les patients aux urgences si aucun box n’est disponible » déclare-t-elle.
Maternité, pédiatrie, psychiatrie, chirurgie… Toutes les spécialités sont touchées. « Lorsque l’offre publique s’éteint, il n’y a pas d’alternative privée à la psychiatrique publique pour les patients en crise et leurs familles » alerte le Dr Marie-José Cortes, présidente du SPH (Syndicat des psychiatre des hôpitaux). « L’accroissement de la charge de travail impacte en particulier les maternités de niveau 2 et 3, augmentant le risque de complications » précise le Dr Pascal de Bièvre, PH au sein du Syngof (syndicat des gynécologues et obstétriciens de France).« Depuis 2012, la mortalité infantile ne cesse d’augmenter, et nous sommes actuellement au 25ème rang en Europe » déplore le Dr Jean-Louis Chabernaud, président du SNPEH (Syndicat National des Pédiatres en Établissement Hospitalier).
Les chiffres de la mobilisation
Selon l’enquête réalisée par l‘APH, les chiffres de participation au mouvement de grève du 3 juillet varient selon les établissements « mais peuvent atteindre 80% par exemple à la Rochelle » déclare Jean-François Cibien. Concernant les biologistes, « 97% des répondants (119 biologistes sur 916 réponses) se déclarent grévistes, 44% pour une durée d’une heure, 11% pour une demi-journée et 44% pour la journée complète. Un tiers des services déclarent une participation à plus de 75% » quantifie Carole Poupon d’après les premiers chiffres disponibles le 4 juillet à la mi-journée.