Biomarqueurs pour l’immunothérapie du cancer

Les progrès récents ont permis de mieux comprendre le rôle des cellules immunitaires dans le développement des tumeurs. Dans le micro- environnement tumoral, il y a des cellules immunitaires à activité antitumorale et des cellules immunitaires chargées d’inhiber les premières, les cellules suppressives. « C’est comme si la tumeur cooptait une partie du système immunitaire pour empêcher la réaction antitumorale » souligne le professeur Tartour, immunologiste médical à l’hôpital Georges Pompidou et à l’hôpital Necker, lors des Journées de biologie clinique Necker – Institut Pasteur 2023.

Les lymphocytes T, qui sont normalement des cellules antitumorales, peuvent se retrouver inhibées dans leur activité s’ils expriment des récepteurs inhibiteurs (PD-1). Ceux-ci apparaissent normalement à la surface des lymphocytes T afin de permettre aux lymphocytes activés de revenir à l’état basal. Dans le cancer ou les infections, certains lymphocytes T expriment des récepteurs inhibiteurs, car ils sont stimulés de façon chronique en l’absence d’élimination de la cellule tumorale ou de l’agent pathogène.

Le postulat de l’immunothérapie est le suivant : administrer des anticorps anti-PD-1 ou anti-PD-L1 pour bloquer l’interaction entre le récepteur inhibiteur PD-1 et son ligand afin de stopper l’inhibition sur le système immunitaire. En 2013, un essai a montré que les patients atteints de mélanome métastatique ayant reçu un anticorps anti-PD-1 ont eu plus de 38 % de réponse clinique1. En 2014, une étude a mis en évidence que l’immunothérapie est beaucoup plus efficace que la chimiothérapie dans le mélanome métastatique2. « Ces deux articles ont apporté les premières preuves de l’intérêt de l’immunothérapie. C’était il y a tout juste dix ans et cela a révolutionné la prise en charge des patients », conclut Éric Tartour. Si l’immunothérapie a démarré avec le lambrolizumab dans le mélanome, il existe aujourd’hui sept molécules différentes indiquées dans vingt-trois indications cliniques différentes chez des patients atteints de cancers. Néanmoins, l’immunothérapie ne fonctionne que chez 25 à 30 % des patients et son coût est important. C’est pourquoi il est important de pouvoir déterminer à l’avance quels seront les patients répondeurs.

Quels sont les biomarqueurs d’ordre immunologique ?

Les anticorps anti-PD-1/PD-L1 viennent se fixer soit sur le récepteur PD-1 des lymphocytes T, soit sur le récepteur PD-L1 exprimé par la tumeur. Cette fixation bloque l’interaction cellule cancéreuse/lymphocyte T et lève l’inhibition sur la prolifération des lymphocytes T. Le récepteur PD-L1 est un test compagnon dans de nombreuses indications, mais il est imparfait. Le récepteur PD-L1 n’est pas seulement exprimé par les cellules tumorales, il l’est aussi par d’autres cellules. De plus, ce n’est pas un marqueur qualitatif avec une notion de seuil. Par ailleurs, il s’agit d’un marqueur dynamique dont l’expression change dans le temps chez un même patient. Enfin, son expression est hétérogène : il peut être exprimé dans la tumeur primaire et pas dans la métastase ou inversement.

Dans l’objectif de trouver un meilleur biomarqueur, des chercheurs se sont intéres- sés à l’interaction entre PD-1 et PD-L1. Plusieurs études ont montré que, lorsqu’il y a une interaction entre PD-1 et PD-L1, les patients atteints de mélanome répondent mieux à l’immunothérapie3,4. Plus intéressant encore, l’interaction entre PD-1 et PD-L1 serait un biomarqueur plus performant de la réponse au traitement que la présence de PD-1 seul. « Ces tests sont en cours de développement, ils vont certainement permettre d’améliorer la prédiction de la réponse à l’immunothérapie », projette le Pr Tartour.

Une autre stratégie consiste à s’intéresser à la quantité de lymphocytes T dans les tumeurs. S’il y a une faible quantité de lymphocytes T dans la tumeur, cela signifie qu’une interaction entre PD-1 et PD-L1 existe et qu’elle bloque leur prolifération. L’immunothérapie sera bénéfique puisqu’elle permettra de lever cette inhibition. S’il n’y a pas de lymphocytes T au départ dans la tumeur, il n’y en aura pas plus après le traitement. « Les études cliniques sur le sujet montrent que c’est un marqueur potentiellement intéressant, mais qui reste à améliorer. »

La piste de l’analyse des sous-populations de lymphocytes T est particulièrement prometteuse. Par exemple, on distingue les lymphocytes T progéniteurs qui fonctionnent bien et les lymphocytes T « exhausted » (« épuisés ») qui ne sont plus capables de proliférer. La présence de lymphocytes progéniteurs est mieux corrélée à la réponse au traitement que la présence de lymphocytes T totaux5. D’autre part, les patients qui expriment plusieurs molécules inhibitrices à la surface des lymphocytes répondent beaucoup moins bien à l’immunothérapie6.

Les lymphocytes T résidents ou tissulaires représentent une sous-population de lympho- cytes qui restent dans la tumeur et n’en sortent pas. Ils sont au contact direct de la cellule tumorale et sont capables de produire beaucoup de molécules cytotoxiques pour détruire la tumeur. La présence de ces lymphocytes avant le traitement serait un marqueur de prédiction de la réponse au traitement7. « L’analyse des sous-populations de lymphocytes T représente un champ de recherche extrêmement prometteur ! » analyse Éric Tartour. D’autres possibilités de biomarqueurs existent dans le domaine de l’interféron ou de la présence de structures ganglionnaires dans les tumeurs, et les premiers résultats cliniques sont encourageants.

Phénotype de la cellule tumorale

Certaines caractéristiques de la tumeur peuvent aussi être des biomarqueurs. Le nombre de mutations dans la tumeur est un test compagnon aux États-Unis, mais pas encore en France. En effet, plus le nombre de mutations est important, plus est la réponse à l’immunothérapie est bonne8. La présence de défaut de réparation de l’ADN et d’instabilités microsatellites est un biomarqueur compagnon. Chez des patients atteints de cancer du côlon métastatique traités par un anti-PD-1, ceux présentant des instabilités microsatellites répondent beaucoup mieux à l’immunothérapie9. « En conclusion, on ne peut pas prédire à 100 % la réponse d’un patient, mais on s’en rapproche de plus en plus en faisant des analyses intégratives. En revanche, des progrès restent à accomplir, car les tumeurs sont hétérogènes : une métastase peut répondre et l’autre non. Le futur, ce seront les marqueurs corps entier ! Grâce à un PET scan, on pourra savoir quelles sont les zones atteintes susceptibles de répondre ou non et revenir à des biomarqueurs sanguins donnant une vision intégrative de cette hétérogénéité », résume le Pr Tartour.