Quand une grippe laisse découvrir une leucémie aiguë
L’enfant T., de sexe masculin, 10 ans, est vu par son médecin traitant pour fièvre, toux et asthénie.
La semaine précédente, il avait déjà fait un épisode fébrile lors d’un week-end familial. Cet épisode avait été considéré comme une grippe, au vu du contexte épidémique grippal.
Son médecin prescrit une PCR grippe et Covid, ainsi qu’une prise de sang.
En attendant, il prescrit du Zythromax, pensant à une surinfection pulmonaire.
La PCR revient positive pour la grippe.
La prise de sang comprend une NFS, une CRP et différentes sérologies virales dont mycoplasmes et Chlamydiae pneumoniae, qui reviennent négatives.
La CRP est à 36 mg/l.
Les résultats de la numération sont les suivants : leucocytes à 3,9 g/l, Hb à 12 g/dl et plaquettes à 367 g/l.
L’automate Advia 2120 (Siemens) nous signale trois alarmes, qui nous font réaliser un frottis sanguin. Il s’agit d’une neutropénie à 0,91 G/l, ainsi qu’une alarme LUC (pour large unstained cells, c’est-à-dire grandes cellules sans activité peroxydasique).
Les LUC sont à 8,4 % (réalisation d’une lame si le résultat est supérieur à 5,9 %).
Ces deux alarmes sont cohérentes avec un diagnostic de grippe.
Une troisième alarme nous inquiète plus : blaste 3+ (l’automate Advia 2120 rend 27 % de blastes).
La formule sanguine réalisée au microscope automatique DM 9600 montre 44 % de blastes. Elle est contrôlée au microscope optique avec un résultat similaire.
Il s’agit de cellules à fort rapport nucléo- cytoplasmique, avec un noyau nucléolé présentant une chromatine finement réticulée. Des vacuoles sont souvent visibles au niveau cytoplasmique, ainsi que quelques granulations. On note la présence dans certains blastes de corps d’Auer (voir photo p. 37).
Orientation et prise en charge
L’enfant est hospitalisé dans la soirée aux urgences de l’hôpital pour enfants de Nice.
La numération à l’entrée aux urgences retrouve 5,7 g/l de leucocytes dont 0,7 g/l de polynucléaires neutrophiles (PNN) et 40 % de blastes ; Hb est à 11,08 g/dl et les plaquettes à 358 g/l.
Le bilan de coagulation ne présente pas d’anomalie, le bilan hépatique est normal et la fonction rénale est conservée.
Un traitement par Tamiflu est débuté ; le surlendemain, T. est transféré en onco- hématologie pédiatrique du CHU : cette découverte a eu lieu juste avant le week-end.
Les résultats de la NFS au CHU sont les suivants : GB à 7,8 g/l dont PNN à 1,4 g/l et 23 % de blastes. Hb est à 11,2 g/dl et les plaquettes sont toujours dans les valeurs normales à 287 g/l.
Traitement de la LAM2
Le myélogramme réalisé à J4 montre 78 % de blastes avec une réaction myéloperoxydasique positive orientant vers une leucémie aiguë myéloblastique 1 ou 2 (LAM1/2 selon la classification franco-americano- britannique [FAB]).
Le caryotype ne présente pas d’anomalie.
L’immunophénotypage est en faveur d’une LAM2.
La biologie moléculaire montre une mutation possiblement pathogène du gène WT1(C461S) et d’un variant du gène CEBPA(Q305dup) dont la pathogénicité est indéterminée. Le diagnostic de LAM2 de risque intermédiaire est retenu sans atteinte neuro-méningée.
Le traitement selon le protocole Myelchild1 débute à J6. Il comprend une association de cytarabine, de mitoxantrone et de gentuzumab ozogamicine.
Un bilan pour greffe (typage HLA) est réalisé en cas de rémission incomplète ou rechute. Un membre de la fratrie est compatible.
À la troisième cure de chimiothérapie, il n’est pas retrouvé de maladie résiduelle détectable.
Un cas, deux problématiques
La première problématique est celle de l’annonce :
Comment présenter la notion d’urgence sans parler de blastose ?
Faut-il donner le compte rendu aux parents ?
La difficulté réside dans la nécessité de prévenir la maman d’aller aux urgences pédiatriques sans l’affoler. Dans ce cas, le médecin traitant n’était pas joignable au départ, la biologiste a tout d’abord prévenu l’urgentiste de l’hôpital pédiatrique auquel elle a faxé les résultats de la NFS. Elle a ensuite demandé à la maman d’emmener son fils pour examens complémentaires aux urgences pédiatriques, où il était attendu. La notion de cellules anormales ou de leucémie n’a pas été abordée.
La deuxième problématique correspond aux résultats de la numération qui ne sont pas en rapport avec l’attente d’une leucémie aiguë : On n’observe pas de hiatus des lignées érythroblastique et plaquettaire, classiquement retrouvé dans cette pathologie. Peut-être faut-il revoir les alarmes concernant les LA au vu de ce cas.
Qu’en retenir ?
Ce dossier illustre qu’une pathologie peut en cacher une autre. Si le médecin n’avait pas prescrit la NFS en plus de la PCR nasopharyngée, le diagnostic de leucémie aiguë aurait été retardé.
D’autre part, ce dossier montre que le diagnostic de leucémie aiguë doit être évoqué devant une blastose sans la présence d’une anémie et/ou d’une thrombopénie.
Il évoque aussi la difficulté d’une prise en charge urgente sans aborder l’annonce d’une suspicion de leucémie.
Référence
Institut National du Cancer, Étude Myechild ; étude de phase 3 randomisée. 2018 Jul 13.
Girard S., Revue Francophone des Laboratoires. 2023 Apr; 551(2023):40-51.