La place des biologistes dans les CPTS et la maitrise médicalisée
« SORTEZ DE VOTRE LABO ! » C’est l’injonction que font tous les responsables syndicaux et ordinaux à leurs collègues biologistes. « Un bon diagnostic ne se fait qu’avec la clinique – il faut renforcer le dialogue clinico-biologique et cela commence par la formation des internes qui doivent, dans tous leurs stages, être en contact avec les cliniciens », répète à l’envi Philippe Piet, président de la section G (biologistes médicaux) de l’Ordre des pharmaciens. Une demande aussi répétée sans cesse par de nombreux intervenants lors des congrès des JFBM à la Ricai.
Biologistes, ces invisibles
Or, un autre aspect de ce dialogue a été développé longuement lors des dernières JIB : la communication ne se fait pas à sens unique, les cliniciens aussi doivent apprendre à connaitre les biologistes qu’ils oublient souvent.
Richard Fabre, président URPS Occitanie, commente ainsi : « On ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure. Les biologistes n’ont jamais fait de vagues. Ils se sont toujours adaptés à l’organisation environnante pour faire leur travail de la manière la plus efficace et qualitative. » Si bien que les cliniciens s’appuient sur leurs résultats et la plupart oublient leur expertise. « Et maintenant que la profession vacille, on nous redécouvre. On se découvre nous-mêmes aussi, parce qu’on n’existe que par le regard de l’autre. Si les autres nous cantonnent à notre microscope et notre laboratoire, nous allons nous y enfermer. »
Les CPTS ont besoin des biologistes
Une des voies de sortie est la collaboration étroite avec les autres, pour monter des projets communs centrés autour du patient. C’est tout l’esprit des CPTS. Richard Fabre développe ainsi : « Le rôle des biologistes au sein des CPTS peut être essentiel et très structurant. Ils ont tous les atouts pour cela. D’une part, ils sont naturellement un pivot dans le parcours de soins, ils sont en contact avec les différents acteurs au quotidien : infirmières, médecins généralistes et spécialistes, pharmaciens, autant en ville qu’à l’hôpital. D’autre part, les biologistes du privé sont en majorité des entrepreneurs, à ce titre ils ont beaucoup à apporter aux CPTS dont le fonctionnement est essentiellement fondé sur du bénévolat, mais qui, par les subventions et les projets qu’elles doivent soutenir, ont besoin d’une technicité de gestion administrative et financière.
Enfin, ils ont aussi été les premiers à être confrontés à des obligations de numérisation et d’informatisation de leurs fonctionnements et de leurs données. Sur ce sujet aussi, ils ont aussi beaucoup à apporter aux autres professionnels. »
L’autre, un bénéfice
Les témoignages des acteurs des CPTS le prouvent. Le simple dialogue entre différentes professions amène déjà une connaissance de l’autre qui permet d’emblée de fluidifier le partage d’information, le respect, et la prise de décisions de parcours plus pertinentes pour le patient. Plus de 500 CPTS maillent aujourd’hui le territoire, mais leur fonctionnement et leurs ambitions sont très hétérogènes, à l’image des territoires qu’elles occupent. Sur ces 500, seuls 130 laboratoires sont représentés. Venus témoigner de leurs expériences au sein des CPTS à l’occasion des JIB, plusieurs biologistes encouragent leurs confrères à les imiter. Reste que, même opérationnelles, les CPTS se heurtent à un obstacle de taille pour être plus dynamiques : comment rémunérer le travail de coordination et d’échange des différents professionnels ? Un obstacle particulièrement prégnant pour les bio- logistes, qui, à ce jour, ne sont pas intégrés dans les systèmes de rémunération à l’acte (prévention, télé-expertise, etc.).
La maitrise médicalisée à l’épreuve du terrain
Lionel Barrand, président du syndicat Les Biomed, revient souvent sur les expérimentations menées dans le Grand Est pour la mise en place d’approche syndromique des diagnostics ou sur la place particulière que le biologiste peut occuper pour orienter le parcours de soins et faire de la détection précoce. Par exemple, depuis 2018, les laboratoires alsaciens calculent le score de risque rénal (SRR ou kidney failure risk equation KFRE). Dès lors qu’un patient présente un DFG < 60 mg, ils peuvent l’appeler et le reconvoquer pour faire une analyse d’urine complémentaire afin de calculer le SRR. En fonction du résultat, on peut évaluer s’il y a nécessité de l’adresser à un néphrologue. Cela permet à la fois d’améliorer l’adéquation de l’adressage au spécialiste, de réduire le délai d’accès à la consultation de néphrologie et de réduire le nombre de patients démarrant une dialyse en urgence.
Une place de pédagogue
Le biologiste a aussi une place de pédagogue à occuper auprès des autres profes- sionnels de santé. C’est à lui de signaler (ou rappeler) aux médecins que certains examens sont désormais obsolètes ou non pertinents pour poser certains diagnostics. Il doit s’emparer de ce rôle pour améliorer la maitrise médicalisée et faire valoir son expertise. C’est une des premières actions à mener pour être reconnu à sa juste valeur.