Une approche « One Health » d’Aspergillus résistant aux azolés

Pour rappel, A. fumigatus est un champignon filamenteux de la classe des ascomycètes. Ubiquitaire (présent à chaque instant autour de nous avec plus de 100 spores dans chaque mètre cube d’air que nous inspirons), il s’agit d’un saprophyte naturel, qui se nourrit donc de la matière organique en décomposition.

Un opportuniste

D’un point de vue médical, c’est un opportuniste. Chez les sujets sains, aucune maladie ne se déclare, mais, dès lors qu’il y a une immunosuppression (générale ou locale), on voit apparaitre des pathologies infectieuses, aigües et chroniques. Cela peut aller de l’aspergillose pulmonaire invasive, avec une mortalité de 40 à 50 % à un mois chez les immunodéprimés, à des formes d’aspergilloses chroniques, ou encore à des formes d’aspergilloses bronchopulmonaires allergiques chez les patients déjà asthmatiques ou atteints de mucoviscidose avec des comorbidités très importantes : destruction du parenchyme pulmonaire due à l’inflammation provoquée par la présence des champignons.

Surmortalité due aux résistances

Depuis une bonne quinzaine d’années, on voit apparaitre des cas d’aspergilloses résistantes aux azolés dans les hôpitaux. Quelques études ont voulu mesurer l’impact de ces résistances sur la survie des malades. La première2 compare la mortalité dans un groupe touché par des aspergilloses pulmonaires invasives porteur d’un isolat résistant et un groupe témoin. À 3 mois, il y a 25 % de décès de plus dans le groupe porteur de résistance. La seconde3 révèle une mortalité multipliée par 2,7 à 6 semaines chez les patients positifs à une forme résistante identifiée par qPCR ciblée sur TR34 et L98H dans le liquide bronchopulmonaire.

Arsenal thérapeutique faible

De manière générale, l’arsenal thérapeutique pour traiter les aspergilloses est assez limité. En effet, parmi les antifongiques existants, les seuls vraiment efficaces sont les azolés à usage systémique qui ont révolutionné la prise en charge dans les années 1990 (voriconazole, posaconazole, itraconazole et isavuconazole – le fluconazole n’est pas efficace sur les aspergilloses) et, dans une moindre mesure, l’amphotéricine B liposomale – mais avec encore beaucoup de problèmes de toxicité. On peut éventuellement faire appel aux échinocandines, mais toujours en association, car elles sont seulement fongistatiques sur les champignons filamenteux. Il faut savoir que l’on a du mal à trouver des médicaments non toxiques contre les champignons, car la cellule fongique est une cellule eucaryote, donc proche des cellules humaines. Aussi, les médicaments développés s’attaquent principalement à l’ergostérol qui est l’équivalent du cholestérol membranaire chez l’homme, mais spécifique aux champignons. En outre, les quatre azolés utilisés contre Aspergillus ont des structures très proches, si bien qu’il est courant de rencontrer des résistances croisées. Les mécanismes de résistance observés sont classiques : altération de la cible avec des mutations du gène du CYP51A, surexpression du gène cible, mécanismes d’efflux avec une régulation des transporteurs membranaires ou encore circuit de réponse au stress cellulaire.

Des cas sporadiques de résistance

Au début de l’emploi des azolés (dans les années 1990-2000), on a vu émerger des cas sporadiques de résistance dans des cas d’aspergillose pulmonaire chronique après un traitement long (parfois de plusieurs années) par azolés. Dans ces situations, on mettait toujours en évidence, entre les patients, une diversité génétique importante des souches d’Aspergillus fumigatus responsables avec des mutations ponctuelles qui étaient la cause de la résistance, notamment sur le gène CYP51A et parfois le gène HMG1. Nous nous expliquions l’apparition de ces cas par la sélection de mutations ponctuelles apparues lors de la sporulation par mitose (reproduction asexuée des champignons). Pourquoi seulement dans des aspergilloses chroniques ? Parce que dans ces infections, Aspergillus se loge dans les cavités pulmonaires où il y a une interface liquide/air nécessaire à la sporulation – sans quoi Aspergillus ne se reproduit pas, mais fait croitre son mycélium. Cependant après 2010, le profil de résistance a changé.

Massification des résistances brutale

En effet, entre 2000 et 2010, aux Pays-Bas, on a vu émerger de nombreux cas de résistance. Cette fois, les patients étaient naïfs de traitement par azolés et cela concernait des aspergilloses pulmonaires invasives autant que des aspergilloses chroniques ou allergiques. Ils portaient souvent la mutation TR34 dans la région promotrice et L98H dans la région codante, et la résistance était plutôt pan-azolés, avec une faible diversité des souches. Les questions qui se posèrent alors furent : est-ce que ce type de résistance a été acquise dans l’environnement ? Est-ce que les fongicides agraires auraient pu sélectionner des résistances croisées aux antifongiques médicaux ?

Étude des conditions environnementales

Les scientifiques se sont donc intéressés aux antifongiques agraires4. En 2012, 33 molécules étaient autorisées aux Pays-Bas. Parmi elles, 19 étaient des inhibiteurs de la 14α-déméthylase, et les souches trouvées chez les patients présentaient une résistance croisée avec 5 antifongiques agraires, dont le tébuconazole et le propiconazole. Des études biochimiques ont confirmé, d’un côté, que le propiconazole avait le même fonctionnement que le posaconazole et l’itraconazole et, de l’autre, que le tébuconazole avait le même fonctionnement que le voriconazole. Par ailleurs, les scientifiques n’ont pas réussi à reproduire par reproduction asexuée simple les mutations doubles TR34 et L98H4,5. On avait donc affaire à une acquisition complexe, mettant peut-être en jeu une reproduction sexuée, ce qui allait dans le sens d’une origine environnementale d’acquisition des résistances. En effet, la reproduction sexuée chez Aspergillus ne peut avoir lieu que dans l’environnement naturel. On observe donc là un cas de résistances acquises dans l’environnement à cause de l’utilisation de fongicides agraires ; c’est en l’occurrence un dommage collatéral, puisqu’Aspergillus n’est pas un phytopathogène : il n’affecte pas les cultures, mais a pourtant été affecté par les traitements utilisés !

Propagation des résistances

La fréquence et les mécanismes de ces résistances ont été étudiés. Il en ressort en particulier qu’on a souvent une résistance pan-azolés dès qu’il y a la présence de TR34. Sur 30 % des souches environ, on n’est pas capable d’identifier le mécanisme génétique en cause. Les mutations les plus courantes ont été retrouvées dans à peu près tous les pays qui les ont cherchées avec une très grande hétérogénéité géographique. Par exemple, deux sites éloignés de seulement 39 km aux Pays-Bas présentent respectivement un taux de résistance de 4 et de 19 %. En France, même si ces résultats sont très partiels, on peut détecter une corrélation entre les taux les plus élevés et le caractère plus rural et agricole de la zone environnante. Toutes les souches retrouvées semblent appartenir au même clade A, ce qui serait donc en faveur d’une même origine néerlandaise.

Le cas d’école de Besançon

Au CHU de Besançon6, une augmentation des résistances a été observée, jusqu’à 16 % chez des patients atteints de mucoviscidose. Les chercheurs ont voulu vérifier si cette résistance provenait de l’environnement, liée à un hotspot agraire local, et ont, pour cela, échantillonné l’air puis le sol. Ils constatent une augmentation des souches résistantes dans l’air entre 2017 et 2019 et ils trouvent des Aspergillus résistants identiques aux souches trouvées chez les patients dans 71 % des échantillons de sol et 92 % des pots de tulipes en provenance des Pays-Bas, cultivées avec une agriculture conventionnelle. Mis en relation avec le paysagiste responsable du choix des tulipes, et en seulement un an, ils ont ramené la quantité de souches résistantes identifiées de 71 à 3 %. Cette augmentation des résistances liées à l’environnement n’est pas une fatalité.

Sauveurs déjà obsolètes ?

Les nouveaux antifongiques7 efficaces sur les Aspergillus et qui pourraient être intéressants sur les souches résistantes sont le Fosmanogepix, qui a un large spectre et qui est un inhibiteur des protéines ancrées par la GPI (un nouveau mécanisme d’action), et l’Olorofim, qui est également un nouveau mécanisme avec une inhibition de la synthèse des pyrimidines. Son spectre est beaucoup plus réduit, mais particulièrement efficace sur les Aspergillus résistants aux azolés. Malheureusement pour ce dernier, un fongicide agraire, l’Ipflufenoquin, a le même mécanisme d’action et vient de sortir, si bien qu’on risque de se retrouver avec le même phénomène de résistance croisée. Notons que l’emploi des fongicides entre 2006 et 2016 a été multiplié par quatre. On peut donc s’attendre à une augmentation de la sélection des souches. Il nous reste beaucoup à faire pour à la fois mieux connaitre les mécanismes de résistance à l’œuvre, trouver de nouvelles parades et réussir à faire partager la vision « One Health » tout autant aux cliniciens qu’à l’industrie agricole.

Références
  1. L’approche ” One Health ” recouvre la notion d’approche globale des enjeux sanitaires, incluant la santé des animaux, des végétaux et des êtres humains, ainsi que les perturbations de l’environnement générées par l’activité humaine.
  2. Lestrade, et al., Clin Inf Dis. 2019.
  3. Chong, et al., AAC. 2016.
  4. Snelders, et al., Plos One. 2012.
  5. Verweij, et al., Lancet Inf Dis. 2016.
  6. Hoenigt, et al., Drugs. 2021.
  7. Godeau, et al., Am J Inf Control. 2019.