Financiarisation et biologie : le Sénat désavoue la politique budgétaire agressive de la CNAM

Les conclusions du rapport de la commission des affaires sociales du Sénat sur la financiarisation de l’offre de soins sont sans appel : les pouvoirs publics ont une responsabilité importante dans le phénomène et sont en retard sur les régulations et actions qui pourraient être mise en place pour limiter le phénomène.

Dès le premier paragraphe de la synthèse du rapport on peut ainsi lire concernant la biologie médicale : “L’évolution du cadre législatif a favorisé la concentration et la financiarisation du secteur, permettant à des biologistes n’exerçant pas directement au sein de la société de détenir plus de la moitié de son capital. La loi de 2013 portant réforme de la biologie médicale, qui visait à maîtriser ce phénomène, n’a pas supprimé cette faculté pour les sociétés créées antérieurement à son entrée en vigueur.

Rappel – Que faut-il entendre par financiarisation ?

Derrière ce terme, soyons clair, il ne s’agit pas ici de remettre en cause l’existence de structures privées dans le système de santé. Tous les acteurs économiques et politiques s’accordent sur le fait que le capital privé permet des investissements massifs que le public ne pourrait pas assumer. Dès lors, quand on parle du problème de la financiarisation, il s’agit bien de la dérive d’un capitalisme d’investissement à un capitalisme financier qui n’aurait d’autre but qu’un gain financier rapide via des opérations de rachat/vente ou de rémunération d’actionnaires, sans prise en compte de la fonction de service public associé aux structures privées d’accès au soin.

Comment la pression budgétaire favorise la financiarisation ?

Les rapporteurs écrivent clairement que les politiques de baisses tarifaires favorisent les acteurs financiers par rapport aux indépendants : “Les restructurations, par la recherche d’un effet « taille critique » et la concentration des plateaux
techniques, permettent aux sociétés de réaliser des économies d’échelle et de mieux résister aux baisses tarifaires, qu’absorbent plus difficilement les opérateurs indépendants.

La biologie médicale reste rentable au niveau macro-économique

Comme le rappelait encore Lionel Barrand à la presse à l’occasion d’une intervention mercredi 26 septembre au café Nile, les biologistes, actuellement en conflit avec la CNAM sur la baisse des cotations des actes, ne demandent pas de budget supplémentaire. “Nous voulons simplement des négociations tarifaires transparentes, sur des chiffres avérés, et s’il doit y avoir des baisses qu’elles permettent aux structures indépendantes, de les absorber sans risque pour la pérennité de leur activité et en préservant le maillage territorial et les plages d’ouverture au public“. Au niveau macro-économique, le rapport sénatorial relève une rentabilité moyenne de 19% de la biologie médicale. Ce qui évidemment est une moyenne cachant de grandes hétérogénéités dans les échelles de rentabilité selon les structures et les actes qui y sont pratiqués. C’est hétérogénéité étant rarement prise en compte dans les discours et les décisions des autorités publiques.

Quatre facteurs favorisant la financiarisation

Les rapporteurs identifient donc au total 4 facteurs principaux qui favorise les opérations de financiarisation :

  • Les assouplissements successifs du cadre juridique ont favorisé la financiarisation en permettant à des investisseurs n’exerçant pas au sein des sociétés d’exercice libéral (SEL) d’entrer au capital.
  • La politique de régulation des dépenses de santé, qui, pour la biologie médicale, via des protocoles d’accord successifs ont permis, par une régulation de contenir la croissance annuelle des dépenses à 0,9 % entre 2014 et 2021 mais qui en contrepartie a pu être possible grâce à des gains de productivité réalisés par les groupes de laboratoires, en concentrant le secteur et en fragilisant les structures indépendantes.
  • L’obligation d’accréditation par le Cofrac pour le suivi de la qualité qui a été mise en place depuis 2010 : un processus coûteux pour les laboratoires qui a constitué une incitation puissante à leur regroupement.
  • Enfin, une tendance sociétale avec des aspirations des professionnels de santé à des modalités de travail collectives et à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée qui favorisent le  développement de structures financiarisées, qui déchargent d’un certain nombre de tâches administratives et de gestion.

Les financiers contre la régulation des dépenses de santé ?

Un des arguments souvent utilisés par Thomas Fatôme, directeur général de la CNAM, pour expliquer que les tensions lors des négociations entre la CNAM et les biologistes sont le fait de financiers qui décident et font pression, grâce à leur pouvoir économique, pour empêcher la baisse des tarifs… Un argument que les rapporteurs du Sénat nuancent fortement. Ils écrivent ainsi à propos de la financiarisation que “Ses effets sur la régulation des dépenses de santé demeurent toutefois insuffisamment objectivés.

La financiarisation, menace contre la “souveraineté” et “l’accès aux soins”

Par contre, le document de synthèse note qu’il est évident que “La financiarisation conduit à s’interroger sur la capacité des autorités de tutelle à contrôler le développement d’une offre financiarisée dans le respect des critères d’accessibilité, de qualité et de pertinence des soins, et à récupérer une partie des gains de productivité générés. “

Des points clés sur lesquels les biologistes alertent depuis des mois.

Les professionnels ont des solutions

De façon très pragmatique, pour émettre ses recommandations, les rapporteurs soulignent qu’il est nécessaire de se rapprocher des acteurs de terrain et des territoires : professionnels de santé concernés et ARS notamment.

Parmi les 18 propositions faites par les sénateurs on peut en citer quelques-unes qui auraient un impact direct sur la structuration et le financement des laboratoires de biologie médicale:

  • Veiller à ce que les tarifs conventionnels négociés permettent la viabilité financière des structures indépendantes et faire figurer dans les objectifs légaux des conventions professionnelles celui de la protection de l’indépendance des professionnels de santé.
  • Augmenter le nombre de sites de biologie médicale analytiques de proximité et définir par arrêté une liste minimale d’examens à réaliser sur chaque site de biologie médicale.
  • Compléter les dispositions législatives et réglementaires encadrant la détention des droits sociaux et des droits de vote au sein des SEL, pour mieux protéger le pouvoir décisionnel des professionnels de santé.
    • Mettre fin aux détournements du système des actions de préférence appliqué aux SEL des professions de santé.
  • Empêcher les investissements purement spéculatifs et prévenir le retrait non anticipé de capitaux, par exemple en fixant une durée minimale d’investissement dans le capital des SEL.
  • Favoriser la constitution d’apports bancaires et l’accès à des modes de financement respectueux de l’indépendance professionnelle.
    • Soutenir les professionnels de santé et les acteurs locaux, notamment les collectivités territoriales, dans la consolidation d’une offre de soins indépendante et diversifiée.

Des écrits et… des actes ?

Le mot de la fin reviendra à Lionel Barrand, président du syndicat les BIOMED : “Même si ce rapport va dans notre sens, il reste maintenant à ce que les autorités le transforment en actes. C’est ce que nous attendons de voir“.

En effet, combien de rapports de la Cour des comptes aux Etats généraux de la Santé sont très vite oubliés dans un tiroir. Quand bien même leurs conclusions semblent à tous plutôt pertinentes et efficaces d’un point de vue médico-économique.