Antibiogrammes ciblés urinaires : les nouvelles recommandations

Les plans nationaux de juste prescription des antibiotiques intègrent des actions visant à limiter la liste des antibiotiques transmis dans les antibiogrammes, notamment urinaires. Les infections urinaires, communautaires et nosocomiales représentent environ 15 % des prescriptions d’antibiotiques. « On observe une prescription pas toujours justifiée d’ECBU*, avec des antibiogrammes complets et un choix non optimal d’antibiothérapie, comme des cystites simples traitées par fluoroquinolones », pointe la Dr Vanina Meyssonnier, infectiologue aux hôpitaux universitaires de Genève. D’où la démarche de recommandations pour les antibiogrammes ciblés urinaires positifs à entérobactéries de la SPILF/SFM.

Des objectifs pluriels

Les objectifs, inscrits dans la lutte contre l’antibiorésistance, sont pluriels :

  • promouvoir une juste prescription des antibiotiques ;
  • limiter celle des molécules critiques, notamment les fluoroquinolones ;
  • favoriser une désescalade des traitements en faveur des antibiotiques à spectre étroit ;
  • et, surtout, orienter les prescriptions pour se mettre en conformité avec les recommandations nationales en vigueur.

Un effet sur la prescription

Le groupe de travail s’est appuyé sur les listes d’antibiotiques critiques (OMS, ANSM, SPILF2), sur les recommandations du CA-SFM* et sur les recommandations thérapeutiques proposées par la SPILF et la HAS revues en 20213. Les antibiogrammes ciblés ont fait l’objet de plusieurs études cliniques qui en ont pointé la bonne acceptabilité. Dans une étude canadienne4, le fait de ne plus rendre systématiquement la ciprofloxacine s’est accompagné d’une baisse significative de sa prescription et d’une augmentation de la sensibilité des Escherichia coli à cette molécule.

Une bonne acceptabilité

Des études5 françaises récentes menées en laboratoires de ville dans le Grand Est soulignent une bonne acceptabilité de l’antibiogramme ciblé par les prescripteurs, même si ces derniers pointent le besoin de formation et de sensibilisation. Ces études montrent que les prescripteurs sollicitent très peu les laboratoires pour obtenir l’antibiogramme « complet » (environ 1 % des dossiers), et il n’a pas été noté de recours plus fréquent à des consultations de suivi ou d’hospitalisation dans le groupe « antibiogrammes ciblés » par rapport au groupe témoin « antibiogrammes complets ».

Une recommandation de rendu

La recommandation concerne tout type d’infection urinaire, toutes les entéro- bactéries, pour la femme et la fille de plus de 12 ans. La nouveauté par rapport à la dernière version du CA-SFM porte sur l’existence de deux tableaux additionnels, si l’on dispose des renseignements cliniques, pour les cystites ou les pyélonéphrites. « Nous encourageons les prescripteurs à fournir ces renseignements cliniques et les laboratoires à optimiser leurs moyens de recueil », précisent les deux orateurs. Point crucial, l’antibiogramme ciblé concerne le rendu et non les molécules testées qui restent inchangées. Le suivi épidémiologique s’appuie d’ailleurs sur l’antibiogramme complet stocké au laboratoire. Les molécules à rendre ou à masquer sont fonction du phénotype de la souche et des renseignements cliniques disponibles. « Il est important néanmoins de rendre les molécules catégorisées “résistantes” non prévues dans le compte rendu ciblé », souligne Frédéric Schramm. L’antibiogramme complet doit rester disponible sur demande pour le clinicien et il est prévu des possibilités de déroger pour certains services ou prescripteurs après concertation des biologistes ou cliniciens.

Le tableau générique

Le tableau « générique », en l’absence d’information clinique, doit permettre de disposer pour chaque colonne de molécules actives, quel que soit le tableau urinaire considéré (cystite ou pyélonéphrite). La liste restreinte des molécules à rendre inclut l’amoxicilline (premier choix pour le traitement différé des cystites à risque de complication et pour le traitement de relais en cas de pyélonéphrite), des molécules strictement limitées au traitement des cystites (mécillinam, nitrofurantoïne, fosfomycine et triméthoprime), ainsi que le sulfaméthoxazole/triméthoprime (Bactrim®).

Le tableau des pyélonéphrites

Dans le tableau pour les pyélonéphrites, la première colonne inclut uniquement amoxicilline ou Bactrim®. La résistance à l’amoxicilline déclenche un démasquage de l’association amoxicilline-acide clavulanique. Seulement ensuite intervient le démasquage des céphalosporines de 3e génération (C3G) et des fluoroquinolones : la recommandation pour les antibiogrammes ciblés s’appuie ainsi sur l’ordre de préférence du traitement de relais indiqué dans les recommandations SPILF/HAS 2021 pour la prise en charge des pyélonéphrites. Pour une souche résistante C3G ou les souches productrices d’une bêta-lactamase à spectre étendu (BLSE), l’antibiogramme complet est rendu. « Les tableaux précisent les règles de masquage des carbapénèmes à ne rendre que si aucune autre ß-lactamine de spectre plus étroit n’est sensible ou sur demande du clinicien, ainsi que celles visant les antibiotiques les plus récents à ne rendre que sur demande du clinicien après un avis spécialisé », décrit le microbiologiste.

Le tableau des cystites

Dans le tableau pour les cystites, la première colonne reprend les molécules de 1re intention indiquées pour le traitement documenté des cystites aigües à risque de complication (recommandations SPILF/HAS) ; la 2e colonne, si la souche est résistante à toutes celles-ci, permet un démasquage de l’Augmentin et du céfixime. Si la souche est résistante aux molécules de 1re intention, à l’Augmentin et au Bactrim, l’antibiogramme complet est rendu, à l’exception, là aussi, des carbapénèmes et des antibiotiques les plus récents.

Une nécessaire pédagogie

Les commentaires à produire comportent des messages pédagogiques, rappelant par exemple que la liste rendue correspond à un antibiogramme ciblé, incluant les antibiotiques les plus adaptés aux recommandations en vigueur et privilégiant ceux à faible impact écologique. Ils rappellent aussi que, en cas de cystite simple, le traitement repose sur une antibiothérapie probabiliste et ne nécessite pas la réalisation d’un ECBU. « L’outil est maintenant en ligne, il doit être mis en place et utilisé. Son déploiement doit être accompagné, en incluant les prescripteurs, les microbiologistes et les patients », estime la Dr Meyssonnier. La labellisation HAS de cet outil doit être considérée comme une directive pour les éditeurs de logiciels (SIL, middleware). À l’hôpital, sa mise en œuvre pourra s’avérer plus délicate qu’en ville et nécessitera sans doute des discussions locales. Le dispositif, appelé à de futures mises à jour, sera évalué, en termes d’impact sur les prescriptions et l’antibiorésistance, et verra son périmètre élargi aux infections urinaires masculines et infantiles.

Références

  1. www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2023-10/rbp_antibiogrammes_cibles_mel.pdf.
  2. 2021 AWaRe classification, WHO ; Liste des antibiotiques critiques, ANSM, actualisation 2015 ; actualisation de la liste des antibiotiques critiques disponibles en France pour l’exercice libéral et en établissement de santé-comité des référents de la SPILF-janvier 2022.
  3. Fiche Mémo HAS pyélonéphrite aigüe de la femme (aout 2021) / Fiche Mémo HAS cystite aigüe simple de la femme (aout 2021).
  4. Langford et al., J Clin Microbiol. 2016 Sep;54(9):2343-7.
  5. Le Dret, 2023 ; Simon, 2023.

Notes

  • SPILF : Société de pathologie infectieuse de langue française
  • SFM : Société Française de Microbiologie
  • HAS : Haute Autorité de santé
  • ECBU : examen cytobactériologique des urines
  • CA-SFM : comité de l’antibiogramme de la SFM

 

Issu d’une communication orale lors du congrès Microbes 2023 organisé par la Société Française de Microbiologie (SFM ) qui a eu lieu du 4 au 6 octobre 2023 à Rennes