Règlementation EBMD : Le flou persiste
Alors que la littérature abonde en données sur l’intérêt médical de rapprocher l’analyse biologique du patient et des cliniciens, le développement des examens de biologie médicale délocalisée (EBMD) en France reste suspendu à des décisions législatives et financières. Si tous les acteurs sont soucieux de garantir la qualité des soins, le contexte normatif complexe entrave sa mise en œuvre, peut-être plus dans l’Hexagone que dans d’autres pays européens.
Pourtant, la demande est de plus en plus forte, tant à l’intérieur des systèmes hospitaliers qu’en dehors. Si, dans le premier cas, l’autorité et la responsabilité des biologistes médicaux ne peuvent pas être mises en doute, beaucoup d’incertitudes demeurent sur les modalités d’application de la norme ISO 15189 hors de l’hôpital pour les EBMD. Un petit établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de campagne, un pôle de santé ou un cabinet de médecine spécialiste sera-t-il en mesure de mettre en œuvre les attendus en matière de qualité et de sécurité d’analyse ? Personne ne veut faciliter les examens de biologie sauvages, sans contrôle ni traçabilité.
L’hôpital, un test grandeur nature
À l’hôpital, ces examens existent depuis les années 1990. Les récents progrès technologiques, avec la microfluidique ou la gestion décentralisée mais sécurisées des données, ont accéléré leur déploiement. Cela a conféré aux laboratoires une expertise tant sur la gestion à distance de la qualité que pour la formation et le maintien en compétence des opérateurs. Cette forte croissance répond aux besoins de réponses rapides, dans l’intérêt des prises en charge des patients, à la fois pour ce qui concerne les décisions médicales que l’organisation des hospitalisations. Par exemple, la littérature montre que la réduction du temps d’analyse fluidifie la prise en charge aux urgences¹. On sait aussi que la stabilité de certains échantillons (gaz du sang, par exemple) limite leur transport. Enfin, les EBMD constituent de puissants outils d’éducation thérapeutique. Toutes ces raisons justifient leur déploiement rapide dans le monde hospitalier. Or, en ville, le cadre règlementaire fait encore défaut.
Un besoin de financement spécifique
La question financière a d’ailleurs enlisé la rédaction du précédent décret d’application de l’article L. 6211-18 du Code de la santé publique visant à encadrer le développement des EBMD, en 2019. Alors que les discussions ont repris et que les syndicats ont été reçus le 2 décembre pour présenter leurs propositions, François Blanchecotte, président du Syndicat des Biologistes (SDBIO), garde la même position : « Sans enveloppe fléchée, il n’y aura pas de biologie délocalisée en France. »
En effet, la mise à disposition de ces nouveaux tests empièterait sérieusement sur l’enveloppe de biologie courante, dans un contexte de baisse de la nomenclature. La question est d’autant plus sensible que les couts des EBMD sont beaucoup plus élevés que ceux de leur équivalent sur une chaine analytique. « Les réactifs des EBMD sont 5 à 10 fois plus chers que leur équivalent en biologie courante », précise Michel Sala, vice-président du Syndicat National des Médecins Biologistes (SNMB). Dans leurs argumentaires et propositions, les syndicats de biologie médicale hospitalière et ambulatoire² imaginent un double circuit de facturation, d’un côté pour les laboratoires, et de l’autre pour les structures ou les professionnels utilisateurs. « Il ne peut pas y avoir de rétrocession de la part du laboratoire… Ce serait une source de confusion », complète Lionel Barrand, président des Biomed.
Garantir la pertinence clinique
La question financière ne masque pas l’autre enjeu principal des EBMD : garantir la pertinence clinique. Il s’agit de conserver l’attention sur les besoins réels. « En tant que biologistes, nous devons nous demander pourquoi le faire, et pour quelle nécessité », souligne M. Blanchecotte. Il est crucial de s’assurer que la délocalisation des tests ne sera pas seulement motivée par des intérêts commerciaux, mais bien par des bénéfices cliniques tangibles pour les patients.
« Il faut faire le bon examen, pour le bon patient, dans la bonne situation, abonde Lionel Barrand, mais il faut conserver de la souplesse pour faire évoluer la liste. » Avec les autres syndicats hospitaliers et ambulatoires, il propose une liste cadrant à la fois le lieu, les examens et les personnels habilités à réaliser les tests dans un contexte donné. « On peut imaginer qu’entre 12 et 15 examens sont pertinents, car ils obéissent à une logique clinique », explique Michel Sala. Par exemple, il peut s’agir de la lipase pour les douleurs abdominales aigües ou de la troponine en cas de suspicion d’infarctus.
Le défi de la qualité et de la traçabilité
La crainte du développement d’une biologie à deux vitesses est palpable, surtout si les tests réalisés en structures décentralisées présentent de faibles volumes quotidiens. Ils devront répondre aux mêmes exigences que ceux effectués dans des laboratoires accrédités : aujourd’hui, le Cofrac impose une accréditation spécifique pour chaque site secondaire, ce qui complique la gestion des EBMD, surtout lorsqu’ils ne sont pas opérés par des biologistes.
« Si, dans un EPHAD ou un pôle de santé, le responsable est un infirmier ou un médecin-chef, il faudra un référentiel allégé », soupçonne M. Blanchecotte, soulignant que cela impliquera d’assouplir les règles pour tous. M. Barrand acquiesce : « Cela facilitera aussi la mise en œuvre de centre d’urgence, qui coute moins cher que la biologie délocalisée. » L’analyse de son syndicat remarque ainsi que les textes internes du Cofrac sont discordants avec les textes règlementaires. Il recommande de considérer les lignes de portée par laboratoire de biologie médicale et non pas par site.
Enfin, il ne sera pas possible de négliger la formation des opérateurs. Un prélèvement mal effectué peut entrainer des variations significatives dans les résultats, d’où la nécessité de garantir une formation adéquate et de maintenir une traçabilité optimale. « Le plus difficile, ce sera de savoir qui fait la procédure », estime François Blanchecotte.
Vers une biologie maitrisée
Enfin, ce nouvel outil s’inscrit dans une obligation de coordination de soins. Michel Sala pointe du doigt les zones d’ombre : « La loi est trouble : La biologie délocalisée est possible « lorsque la phase analytique d’un examen de biologie médicale ne peut être réalisée dans un laboratoire de biologie médicale dans des délais compatibles avec l’état de santé du patient », peut-on y lire. » La question de sa territorialisation devient ainsi essentielle.
Plusieurs approches sont possibles. Les syndicats plaident pour une organisation coordonnée au niveau régional, mais pas forcément concentrée sur les Agences Régionales de Santé (ARS). Les Unions Régionales des Professionnels de Santé pourraient ainsi être des espaces de décision entre cliniciens et biologistes afin de mieux organiser l’offre de bio- logie délocalisée et d’orienter les patients vers les structures adaptées. « Il faut commencer par intégrer les laboratoires dans la cartographie santé.fr, conclut Lionel Barraud. C’est indispensable pour identifier les besoins. »
Après plusieurs années perdues en discussion, le fait est que personne ne s’oppose plus au déploiement de la bio- logie délocalisée hors structure hospitalière : sa valeur clinique est indéniable dans bien des situations. Néanmoins, aujourd’hui encore, les mêmes questions demeurent, financières, normatives et de coordination.
Notes
- Hausfater, et al., Acad Emerg Med. 2020 Oct;27(10):974-983. doi:10.1111/acem.14072.
- Les Biologistes Médicaux (Les Biomed), la Fédération Nationale Syndicale des Biologistes Praticiens Hospitaliers et Hospitalo-Universitaires (FNSBPHU), le Syndicat National des Biologistes des Hôpitaux (SNBH) et le Syndicat National des Médecins Biologistes des CHU (SNMBCHU).