Maroc : Une chambre syndicale proactive au service d'un secteur en pleine mutation

Biologiste infos a rencontré le docteur Otmane Touzani, président de la Chambre Syndicale des Biologistes (CSB) Médicaux Marocains. Il nous livre ses explications sur les enjeux et les défis rencontrés par son instance, représentante des biologistes du secteur privé.

Propos recueillis par Lila Bouber, publié le 21 février 2025

Maroc : Une chambre syndicale proactive au service d’un secteur en pleine mutation

Biologiste infos : Pouvez-vous nous présenter la Chambre Syndicale des Biologistes Médicaux Marocains et ses principales missions ?

Otmane Touzani : La CSB Médicaux Marocains a une cinquantaine d’années d’existence, elle a été créée pour représenter les biologistes du secteur privé et défendre les intérêts moraux et matériels de la profession. À ce titre, nous sommes l’interlocuteur privilégié des autorités de tutelle, mais aussi des fournisseurs, des autres syndicats liés au secteur de la santé et des biologistes eux-mêmes. Au-delà de la défense des droits, la chambre accompagne ses membres dans leurs démarches légales et règlementaires (autorisations, difficultés de fonctionnement des laboratoires, conflits éventuels liés à l’exercice, etc.). Elle contribue également à renforcer les connaissances des bio- logistes sur les aspects légaux et règlementaires, ces volets étant souvent négligés lors de leur formation scientifique. Nous œuvrons pour donner une place centrale à la biologie médicale dans le secteur médical. Au carrefour des différentes spécialités, nous nous devons de jouer un rôle essentiel aussi bien dans le dépistage et le diagnostic qu’en prévention.

Quel est le panorama de la biologie médicale au Maroc ? Quels sont les problématiques spécifiques et les projets actuellement défendus par la chambre syndicale ?

Avec la mise en œuvre de la réforme du système de santé national et du projet de généralisation de la protection sociale lancé en avril 2021, le secteur de la santé connait une évolution majeure. Il vise des mutations importantes, à l’horizon 2028-2030. Ce projet royal extrêmement structurant a déjà permis des avancées considérables : par exemple, l’assurance maladie obligatoire couvre aujourd’hui l’ensemble des catégories sociales, y compris les non-salariés et les personnes en situation précaire.

Autrement, la biologie médicale marocaine partage des problématiques similaires à celles d’autres pays (nomenclature des actes médicaux, contraintes financières liées au remboursement des analyses, etc.). Nous avons d’ailleurs soumis une révision majeure de la nomenclature des actes biologiques, dans le cadre d’un projet collaboratif entre les secteurs public, privé et militaire qui a duré sept ans. Ce document structurant propose d’élargir le panel d’analyses remboursées avec des tests nouveaux et innovants pour le dépistage, le suivi thérapeutique et la prévention de certaines pathologies.

Le Maroc dispose d’une biologie médicale de qualité, mais elle reste concentrée sur les grands axes urbains. Certaines régions sont sous-équipées. La loi sur la cartographie sanitaire en préparation pourrait permettre un meilleur maillage territorial. Nous plaidons pour des réformes favorisant l’installation dans des zones moins attractives, comme des avantages fiscaux ou des facilités d’installation, afin de réduire les disparités régionales et de garantir un accès équitable à la biologie médicale sur tout le territoire. Nous n’avons pas encore réussi à amorcer de manière satisfaisante les discussions avec les autorités de tutelle, car ce sujet ne fait pas partie des priorités de la réforme nationale du système de santé. Cependant, nous y travaillons, car ces évolutions sont cruciales.

Nous plaidons également activement pour rendre possible la mutualisation des moyens entre laboratoires. Actuellement, nos statuts ne l’autorisent pas, mais elle permettrait des économies d’échelle et la réduction de la sous- traitance à l’étranger, car nous disposons de la compétence et des moyens techniques et technologiques localement.

Nous travaillons aussi en partenariat avec la Commission Nationale de Protection des Données Personnelles à l’élaboration d’un guide simplifié pour la mise en conformité des laboratoires aux exigences légales. Les données sont aujourd’hui protégées par le GBEA, mais elles seront davantage en accord avec les exigences internationales. D’autre part, nous contribuons aux réflexions sur la numérisation du dossier médical et la mise en place d’un dossier médical partagé. Nous appelons également de nos vœux le développement d’une industrie marocaine du réactif : nous saluons les initiatives de recherche qui ont abouti au développement de kits diagnostiques pour le Covid-19, largement utilisés lors de la crise sanitaire, ou pour le Mpox, également produits au Maroc.

Comment collaborez-vous avec les autres parties prenantes et les instances gouvernementales ?

Nous échangeons étroitement avec les instances de tutelle (organismes gestionnaires de l’assurance maladie et ministères de la Santé, de la Protection sociale et de l’Enseignement supérieur), ainsi qu’avec les différents acteurs (autres sociétés savantes et chambres syndicales des professionnels de santé, aussi bien au niveau national qu’international). Nous travaillons à mutualiser les expériences et promouvoir le rôle de la biologie médicale dans le système national de santé, aussi bien sur le volet stratégique que macro- économique. En ce qui concerne nos relations avec la SCMMBM et l’AMBM, nous avons une parfaite homogénéité de fonctionnement, nos structures sont totalement poreuses, la collaboration est totale entre nos trois entités. Je suis d’ailleurs membre du bureau de la SMCC et membre honoraire du bureau de l’AMBM. Elles peuvent toutes les deux jouer un rôle déterminant pour améliorer la formation des biologistes. La Chambre Syndicale contribue en partie à ce rôle, en apportant, en plus, l’aspect règlementaire et légal.

Quel est votre rôle dans la mise en place et l’accompagnement des démarches de management de la qualité ?

Cette question est centrale. Au Maroc, la biologie médicale est la seule profession médicale soumise à un référentiel règlementaire obligatoire, le GBEA, mis en place en 2010. En parallèle, nous promouvons un système d’accréditation volontaire et collaboratif qui permette de faire évoluer le référentiel règlementaire vers les meilleurs standards, en douceur. La démarche doit donc rester optionnelle, afin d’éviter des contraintes susceptibles d’entrainer la suppression de certaines analyses, voire la disparition des laboratoires qui n’auraient pas les moyens de s’adapter. Nous sommes donc très attachés à un référentiel qualité corrélé à notre contexte qui permette d’offrir une biologie de qualité, à la pointe des avancées, mais respectueuse des contraintes économiques et des spécificités marocaines. Dans cette optique, nous voulons mettre en place des outils de formation spécifiques pour accompagner cette transition de manière progressive et bénéfique pour les professionnels et les patients.

Comment voyez-vous les perspectives de la biologie médicale au Maroc ?

Notre ambition est de bâtir une biologie médicale marocaine souveraine, rationalisée et à la pointe de la technologie et de l’innovation, mais toujours indépendante et évitant toute dérive capitalistique. Cela passe par le développement d’un maillage territorial équitable, la promotion d’une industrie biomédicale locale et l’évolution des textes règlementaires pour garantir la qualité et l’accessibilité des analyses. Comme vous le voyez, les chantiers sont nombreux, car le Maroc est en phase d’évolution profonde, et nous voulons être des acteurs de ce changement !