Techniciens de laboratoire, un métier hétérogène
Parce que l'avenir de la biologie médicale passe par l'ensemble des acteurs, nous avons décidé de mettre en avant les techniciens de laboratoire médical (TLM) à travers la rencontre de deux de leurs représentants : Edwige Caroff, présidente de l'AFTLM, et Myriam Delvigne, présidente du CNPTLM1.
Mais qui sont les techniciens de laboratoire médical ?
Cette question simple demande une réponse bien complexe. En effet, on pourrait dire que c’est un métier, un statut, un diplôme, un ensemble de pratiques, etc., mais, quel que soit l’angle sous lequel on regarde, il y a toujours de l’hétérogénéité et des différences qui s’apparentent à des fossés entre les uns et les autres. Pas étonnant, dès lors, qu’il soit difficile de construire un syndicat ou une association dans laquelle l’ensemble des techniciens réussissent à s’identifier massivement.
Edwige Caroff, présidente de l’Association française de techniciens de laboratoire médical (AFTLM), abonde : « Public ou privé, c’est déjà deux mondes, à l’image des biologistes libéraux et hospitaliers. Mais ce n’est pas tout : avec l’arrivée de l’accréditation obligatoire, la prise en main de grands groupes sur le fonctionnement de certains laboratoires de ville, mais aussi la concentration des plateaux techniques, les types de postes dans le privé se sont beaucoup diversifiés. Ainsi, la diversité des missions des TLM regroupe des postes ultraroutiniers et d’autres avec de grandes responsabilités : du prélèvement au patient à la réalisation des analyses, en passant par la gestion de la qualité ou à la démarche RSE. Cela dépend donc beaucoup des biologistes responsables et de la structure de la société ou du service hospitalier. »
Des parcours de formation hétéroclites
À cette hétérogénéité de pratiques de terrain s’ajoute aussi une grande diversité de parcours de formation. « C’est une profession des années 1960. Les premiers textes règlementaires, datant de 1976, offraient 59 voies d’accès allant du bac professionnel au bac +2 pour aboutir aujourd’hui à une liste règlementée de 10 diplômes issus de quatre ministères2 d’un niveau bac +2 à licence », informe Myriam Delvigne, présidente du Conseil national professionnel des techniciens de laboratoire (CNPTLM). Le grade de licence est actuellement octroyé par le diplôme d’État de trois instituts de formation, à Amiens, Lyon et Tours, depuis cette année. Une refonte de la formation initiale est en cours. La première étape vient d’être franchie avec une réingénierie du parcours de formation du diplôme d’État et une reconnaissance du diplôme en grade de licence. « Il était devenu essentiel de mettre à jour les différents référentiels de formation et de les recentrer sur le médical, détaille Myriam Delvigne, même si tous les techniciens ne sont pas en contact avec les patients, les prélèvements qu’ils manipulent et la finalité de leurs tâches sont propres au médical et demandent d’avoir une culture du secteur pour être opérationnels. »
La deuxième étape de l’homogénéisation des formations initiales porterait sur la révision de la liste des diplômes qui donnent accès à la profession. « Certains diplômes sont très théoriques et éloignés des pratiques automatisées de nos laboratoires, souligne la présidente du CNP. les quelques semaines de stages sont souvent insuffisantes pour balayer les nombreux secteurs d’activité de la profession et donner à l’étudiant le sens médical de son positionnement dans la qualité des soins. Certains BTS sont ancrés dans leur territoire et répondent à des besoins locaux. Leur objectif est de maximiser les recrutements, ils restent alors souvent éloignés du médical. Les étudiants qui en sortent ne sont pas prêts à intégrer un laboratoire de biologie médicale et, de fait, ont besoin d’un temps de formation complémentaire important. Pour ne pas vendre du rêve aux étudiants, il vaudrait mieux soit opérer une réingénierie de ces diplômes, soit qu’ils ne donnent plus accès à la profession. »
Tension de recrutement et plafond de verre
À l’instar des autres professions scientifiques, techniques ou de santé, le recrutement de techniciens est tendu. Il n’est pas évident d’en trouver ni de les fidéliser, témoignent de nombreux biologistes. Pour Edwige Caroff, la désaffection des techniciens de laboratoire, notamment en biologie de ville, a beaucoup à voir avec la restructuration de la filière et la perte de sens du travail qui l’a accompagné. « Devenir un « presse-bouton » sans contact ni avec le biologiste ni avec le patient, derrière une machine automatisée dont on n’a pas vraiment la maitrise, a fait perdre beaucoup de sens à de nombreux postes de techniciens, détaille la présidente de l’association. Certains ont également mal vécu l’instabilité des rachats des laboratoires par des groupes financiers et se tournent vers le public. »
Dans tous les cas, il y a aussi beaucoup de perte de motivation face à l’augmentation des tâches sans évolution de la rémunération, à l’hôpital par exemple. « Bien souvent, les techniciens sont confrontés à des plafonds de verre, en matière d’évolution de carrière. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons voulu obtenir une reconnaissance en grade de licence du diplôme : permettre d’ouvrir des portes vers des études universitaires et être reconnus en catégorie A dans la fonction publique », poursuit-elle.
Dialogue technicien-biologiste
Taylorisation des tâches, perte de contact avec le patient, automatisation… autant de traits qui ont tendance à couper le dialogue entre des partenaires du quotidien. « L‘accréditation a été une occasion de valoriser le dialogue entre technicien et biologiste et a permis de développer de nouvelles compétences pour les techniciens en métrologie ou qualité. Ce dialogue est essentiel, car c’est à travers lui et l’évolution des compétences que l’on redonne du sens au travail ; il est aussi l’occasion pour les biologistes de se rendre compte des évolutions du métier de TLM, insiste Myriam Delvigne, même si je suis bien consciente que le travail en binôme sera plutôt favorisé à l’hôpital, où l’activité est plus sectorisée. »
L’AFTLM, une association bien esseulée
L’AFTLM est l’unique association regroupant les techniciens de laboratoire médical de toutes les disciplines, du privé comme du public. Association loi 1901 à but non lucratif, l’AFTLM est apolitique et asyndicale. « C’est ce qui fait sa force et sa faiblesse, souligne Edwige Caroff, sa présidente. Cela nous permet d’être universels et de pouvoir nous adresser à tous les techniciens de laboratoire médical, mais, en même temps, une bonne partie d’entre eux cherche surtout un soutien professionnel de type syndical. »
L’AFTLM a pour but de représenter les TLM auprès des pouvoirs publics et de promouvoir, concevoir, réaliser et exécuter des actions de formation professionnelle. À ce titre, l’association est :
- membre du CNPTLM1, qui travaille sur le contenu et la reconnaissance des formations initiales et sur le DPC,
- membre du Haut Conseil des Professions Paramédicales (HCPP) – elle donne un avis sur des projets de loi et de décrets concernant les paramédicaux au ministère de la Santé,
- adhérente de l’Union Interprofessionnelle des Associations de Rééducateurs et Médicotechniques (UIPARM) – où elle bénéficie des réflexions d’interprofessionnalité valorisant les acteurs de terrain,
- adhérente de l’European Association of Biomedical Scientists (EPBS) – « Nous sommes ainsi l’unique association porte-parole des TLM français au niveau européen, précise Edwige Caroff. L’Europe est un échelon porteur pour l’avenir de notre profession. Au sein de l’EPBS, les 21 pays à adhérer – bientôt 22 avec la Hongrie – échangent et construisent l’unification des enseignements afin de promouvoir la valeur ajoutée de notre profession et à terme. »
Chaque automne, l’AFTLM organise ses « Journées professionnelles ». Ce congrès de formation et d’information est constitué d’interventions de professionnels (TLM ou binôme biologiste-TLM) sur des sujets d’actualité, innovants et multidisciplinaires, pouvant intégrer un programme DPC. Un zoom sur les dernières avancées de la profession est aussi présenté.
Notes
1Le CNPTLM regroupe les sociétés savantes, les formations initiales, les professionnels et leurs associations. Il intervient en tant qu’expert pour éclairer et enrichir les politiques développées par les pouvoirs publics, les agences sanitaires et pour améliorer le processus de prise en charge, la qualité et la sécurité des soins ainsi que les compétences des professionnels. https://cnptlm.fr.
2Ministères respectivement de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur, de la Santé et de l’Agriculture.