IST sans ordo : nouvelle politique de dépistage

Inscrite dans la stratégie nationale de santé sexuelle 2017-2030, la mesure de dépistage des IST sans ordonnance, à la demande du patient dans tous les laboratoires de biologie médicale, vise à diversifier l'offre de dépistage et à élargir l'accès à la prévention. Décryptage de la mesure avec le Dr Maud Giacopelli, médecin de santé publique à la direction générale de la santé (DGS), chargée de la politique de dépistage VIH-IST-Hépatites.

Par Sophie HOGUIN, publié le 06 septembre 2024

IST sans ordo : nouvelle politique de dépistage

Depuis une dizaine d’années, l’augmentation de l’incidence de l’ensemble des IST bactériennes (chlamydia, gonocoques, syphilis) est constante “, rappelle le Dr Maud Giacopelli, médecin de santé publique à la DGS. ” On note aussi un retard au diagnostic des personnes infectées par le VIH, avec des diagnostics qui arrivent à un stade avancé de l’infection, et parfois même à un stade tardif “. Or l’objectif est d’éradiquer en 2030 l’épidémie de VIH. Dans ce cadre, la stratégie nationale de santé sexuelle 2017-2030 se déploie en quatre axes avec l’objectif d’intégrer la santé sexuelle et reproductive dans la politique globale de santé : la prévention et la promotion de la santé, tout au long de la vie et dans tous les milieux ; la lutte contre les inégalités sociales et territoriales d’accès à la santé ; la nécessité d’accroître la pertinence et la qualité des soins et enfin l’innovation. La feuille de route santé sexuelle 2021-2024, actuellement mise en œuvre, déclinaison de cette stratégie, entend faire un pas décisif dans la diversification de l’accès au dépistage et aux outils de prévention, afin de réduire au maximum les occasions manquées de prévenir une infection.

Déploiement

Son action 13 vise à assurer un dépistage gratuit, sous conditions, et sans ordonnance dans les laboratoires de biologie médicale (inscrit dans l’article.30 de la loi de finances de la sécurité sociale 2023), ainsi qu’à renforcer l’accessibilité des autotests VIH “, résume la spécialiste. L’arrêté est paru le 8 juillet pour une entrée en vigueur le 1er septembre et fixe la liste des IST concernées et les modalités de réalisation des dépistages en LBM. Sont donc concernées, en plus du VIH : Chlamydia trachomatis (chlamydiose), Neisseria gonorrhoeae (gonocoque), Treponema pallidum (syphilis) et le virus de l’hépatite B. La prise en charge à 100% de ces infections par l’Assurance maladie, fixée par un décret en Conseil d’Etat publié le 7 juillet 2024, est conditionnée à la limite d’âge de 26 ans, la mesure reste quant à elle ouverte à toutes et tous, sur la base d’un remboursement de 60 % par l’assurance maladie. A noter, les patients de moins de 26 ans se présentant avec une ordonnance bénéficient eux aussi de la prise en charge à 100%. Le dépistage du VIH reste pris en charge à 100% pour tous sans condition d’âge.

Questionnaire préalable aux prélèvements

Les laboratoires de biologie médicale de ville et hospitaliers sont concernés. ” A la différence de VIH-test, qui ne prévoyait pas de modalité, ni de site à prélever, avec simplement une sérologie lorsque les patients souhaitent faire ce dépistage, on est ici en présence de prélèvements bactériologiques, avec des sites de prélèvement différents selon les pratiques sexuelles “, note la médecin de santé publique. D’où la mise en œuvre d’un auto-questionnaire afin de récolter des informations de la part du patient, qui permettent de déterminer les sites à prélever (gorge, urine, prélèvement vaginal ou anal) et les IST à tester selon les pratiques sexuelles. Ce questionnaire comporte des questions sur les facteurs de risque d’IST et le statut vaccinal VHB, ainsi que les types de rapports à risque. Il peut être proposé sous forme papier ou dématérialisée. C’est le biologiste qui détermine, en fonction des réponses, quelles sont les IST à dépister et quels sites de prélèvements choisir. Les prélèvements anaux et vaginaux sont en autoprélèvement. Les prélèvements pharyngés peuvent être réalisés par un technicien (l’acte est coté et remboursé) ou en autoprélèvement.

Le cas particuliers des mineurs

Les mineurs peuvent accéder aux dépistages à condition d’être accompagné d’une personne majeure. Maud Giacopelli précise qu’il doit s’agir “d’un titulaire de l’autorité parentale pour les pharmaciens biologistes, et de toute personne majeure pour les médecins biologistes. Les mineurs non accompagnés d’un adulte doivent être orientés directement vers les CeGIDD, pour la réalisation du test.”  Les CeGIDD, Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic, hospitaliers ou associatifs, peuvent aussi être contactés en cas de demande d’anonymat, en l’absence de mutuelle, en cas de problématiques de langues étrangères. A noter, le versement des résultats dans le DMP peut être bloqué. Dans sa newsletter du 1er septembre, le SDBIO précise que si un mineur, dont un résultat revient positif n’est pas joignable, il est pertinent d’avoir pris les coordonnées du majeur accompagnant pour faciliter le contact. Le majeur ne sert que de lien entre le laboratoire et le patient mineur.

Rendu des résultats

En ce qui concerne les comptes rendus de résultats, qu’ils soient positifs ou négatifs, ils seront accompagnés de message de prévention et d’informations (rappel sur les moyens de protection, contraception d’urgence, numéros d’urgence pour les situations de violences et numéro de Solidarité Info Sida). Les blocs textes sont téléchargeables sur le site Ameli. Lorsqu’un résultat est positif à une ou plusieurs IST, il est prévu un appel systématique du biologiste afin d’orienter le patient vers une prise en charge adaptée. Cela peut être au médecin généraliste ou à un service de télémédecine, ou à une sage-femme pour les femmes, en cas de résultat positif à chlamydia, gonocoques ou syphilis. Pour l’hépatite B, C et le VIH, la procédure est différente, avec une orientation plutôt vers un service hospitalier, en maladies infectieuses ou hépatologie. Le choix est cependant laissé au patient de passer par son médecin généraliste en premier lieu. ” L’idée est plutôt de raccrocher les personnes à un parcours de soins, et les associations ou des centres communautaires ont dans ce cadre toute leur place Nous avons construit des procédures nationales mais chaque territoire a son organisation, avec par exemple des CPTS orientées santé sexuelle. Les laboratoires doivent s’emparer du dispositif pour construire la réponse à l’échelle de leur territoire “.

Procédures et suivi

Les procédures, comme celle existant pour VIH-Test, ainsi que les procédures de facturation, sont téléchargeables sur le site de la CNAM et mises à jour. Le déploiement est effectif depuis le 1er septembre 2024, Une évaluation du dispositif est prévue, avec un suivi des indicateurs dans le SNDS (système national des données de santé) des actes de dépistage des IST sans prescription. Elle vise à apprécier la montée en charge du dispositif, comme ce qui est fait pour VIH-Test. Ainsi Santé Publique France récupèrera les données tous les trimestres, avec des analyses par région et tranches d’âge. ” Le but bien évidemment est d’augmenter le dépistage grâce à ce nouvel outil, de toucher un public qui n’a pas forcément l’habitude d’aller voir son médecin traitant pour parler de santé sexuelle. Cela peut favoriser aussi les dépistages d’opportunité, à l’occasion d’un autre bilan “, conclut la spécialiste.

Moins de protection, plus d’infections

Santé Publique France révélait dans sa dernière étude sur les IST en novembre 2023 une augmentation des prévalences de toutes les IST entre 2020 et 2022. Cependant à relativiser un peu au vu de l’augmentation des dépistages.

  • Pour Chlamydia trichomatis : +5% de cas en 2022 par rapport à 2021 (+16% par rapport à 2019).
  • Pour la syphilis, +27% de cas diagnostiqués en médecine privée (entre 2022 et 2019) et +26% dans les Cegidd entre 2022 et 2021.
  • Pour les gonococcies, l’augmentation des cas diagnostiqués est de l’ordre de +19% dans les Cegidd et +27% en médecine privée.

Cette tendance à la hausse est commune à la plupart des pays occidentaux (Europe et Etats-Unis). De leur côté, une enquête du syndicat des dermato-vénérologues révèle que la méconnaissance des maladies sexuellement transmissibles (MST) chez les jeunes adultes (18-35 ans) s’est aggravée entre 2016 et 2024. Avec en parallèle une diminution de la protection des rapports sexuels.