Comment réagir face à une gammapathie monoclonale ?
La HAS vient de lancer une étude visant à définir le protocole d’évaluation du dosage sérique des chaînes légères libres (CLL) kappa et lambda dans les gammapathies monoclonales. L'occasion de faire le point sur les examens à réaliser devant une gammapathie monoclonale. Cela tombe bien, le Pr Bertrand Arnulf, hématologue à l'hôpital Saint-Louis (AP-HP), à Paris en avait fait sa présentation lors des dernières JBC.
Une gammapathie monoclonale de signification indéterminée (GMSI ou, en anglais, MGUS pour monoclonal gammapathy of uncertain significance) est caractérisée par un faible pic mono- clonal d’immunoglobulines (< 30 g/l) et par une plasmocytose cellulaire inférieure à 10 % dans la moelle osseuse. Le sujet est asymptomatique. Il s’agit aujourd’hui d’un diagnostic d’élimination. C’est une pathologie qui peut évoluer vers un myélome multiple (IgG, IgA, chaines légères) ou vers une macroglobulinémie de Waldenström, une leucémie lymphoïde chronique ou un lymphome (IgM).
Alors, comment suivre ces patients pour détecter le plus tôt possible une évolution défavorable ?
Découverte inopinée
La découverte de la gammapathie est parfois opérée devant une vitesse de sédimentation augmentée en l’absence de syndrome biologique inflammatoire ou sur l’électrophorèse des protéines sériques (EPS) capillaire, de plus en plus prescrite en routine. Afin de ne pas affoler inutilement les patients, le Pr Bertrand Arnulf recommande d’être prudent dans les commentaires accompagnant les résultats de ce type d’examen (par exemple, éviter « suspicion de myélome »). L’EPS est un indicateur qui permet de quantifier le pic et de suivre son évolution. Elle est utile pour l’évaluation des gammaglobulines résiduelles. En pratique, devant la découverte d’une Ig monoclonale, la démarche diagnostique comprend trois étapes : la caractérisation immunochimique, la caractérisation du clone à l’origine de l’Ig monoclonale (en amont) et la recherche des complications (en aval) liées à des propriétés physicochimiques de l’Ig monoclonale (dépôt, activité autoanticorps, etc.).
Il faut rester prudent dans les commentaires accompagnant les résultats de ce type d’examen et éviter, par exemple, « suspicion de myélome », commente le Pr Bertrand Arnulf, hématologue à l’hôpital Saint-Louis (AP-HP)
Les examens immunochimiques
L’immunofixation
C’est un examen indispensable qui permet d’une part d’affirmer la monoclonalité et d’autre part de déterminer l’isotype du pic (IgG, IgA, IgM) et de la chaine légère (kappa ou lambda). Il s’agit de caractériser les propriétés immunochimiques de l’Ig monoclonale pour prédire les risques de complications liés. C’est une étape aujourd’hui bien cadrée, mais dont la sensibilité peut être améliorée avec de nouvelles techniques (voir encadré sur la spectrométrie de masse).
La protéinurie de 24 heures et l’électro- phorèse des protéines urinaires (EPU)
Ces 2 examens couplés permettent d’évaluer la production de chaines légères et le risque d’atteinte rénale.
Le dosage des chaines légères libres
Selon le Pr Bertrand Arnulf, c’est un examen encore trop souvent prescrit aujourd’hui. Pour information, il s’agit d’un dosage onéreux et non remboursé en ville. Les véritables indications de ce dosage sont les suivantes :
- pic IgA ou IgD (maladie plus souvent oligosecrétante, polymérisation des IgA) ;
- myélomes oligosecrétants (myélome avec critère CRAB et pic < 10 g/l) ;
- myélome (> 10 % de plasmocytes médullaires) en l’absence de critère CRAB (pour recherche du critère SLIM CRAB rapport des chaines légères > 100) ;
- hypogammaglobulinémie ;
- suspicion de gammapathie monoclonale de signification clinique (MGCS) : amylose AL, dépôts, etc.
Selon le Pr Arnulf, il n’est pas nécessaire de doser systématiquement les chaines légères au diagnostic d’une MGUS. Cet examen n’est pas utile non plus dans le suivi des MGUS (sauf en cas de MGUS à chaines légères). Il doit donc être effectué au cas par cas.
A noter qu’afin de cadrer ces pratiques et d’examiner la pertinence de faire passer cet examen dans le système de remboursement par la sécurité sociale, la HAS vient de publier une note de cadrage sur l’étude du dosage sérique des chaînes légères libres (CLL) kappa et lambda dans les gammapathies monoclonales.
Le dosage pondéral
Pour le Pr Arnulf, le dosage pondéral est « encore trop souvent prescrit », alors qu’en clinique, il n’a pas d’intérêt dans le suivi des gammapathies monoclonales, surtout pour une IgA ou une IgM.
Caractérisation du clone plasmocytaire ou lymphoplasmocytaire
Il s’agit là de réussir à distinguer si le patient présente une MGUS ou s’il est déjà dans une phase symptomatique.
- En cas d’IgG, IgA ou chaine légère isolée, pour distinguer un myélome d’une MGUS, on pratique un myélogramme. Cependant, à visée diagnostique, il n’est pas toujours pertinent et est plutôt utile quand on doit caractériser le clone pour pouvoir mettre en place la bonne thérapie. On recherche en parallèle d’autres signes (hémogramme, calcémie, créatininémie, imagerie osseuse, etc.).
- En cas d’IgM, de macroglobulinémie de Waldenström, de leucémie lymphoïde chronique, de lymphome ou de MGUS, on peut réaliser un phénotypage des lymphocytes du sang avec ou sans biopsie ostéomédullaire (BOM) en complément d’autres examens (échographie abdominale, scan pour la recherche d’adénopathie, etc.).
La spectrométrie de masse, technique montante pour la caractérisation des Ig monoclonales
L’équipe du Pr Arnulf s’intéresse beaucoup à la spectrométrie de masse. C’est une technique rapide, non invasive (sang périphérique) et simple à mettre en œuvre. De plus, elle est reproductible entre laboratoires. Elle permet d’identifier un composant par sa masse moléculaire unique. La sensibilité est très importante (jusqu’au mg), bien plus que celle de l’électrophorèse capillaire. Elle permet, par exemple, de faire la différence entre l’anticorps monoclonal (médicament) et le clone initial, ou encore de détecter des glycolisations qui pourraient jouer un rôle dans la physiopathologie. De plus, la spectrométrie de masse permet une identification des maladies extramédullaires (car réalisée sur prise de sang). Ses avantages font l’objet de plusieurs études, comme celle1 réalisée en Espagne qui a permis de discriminer un groupe de patients identifiés en rémission par les techniques habituelles. Elle fait désormais partie des recommandations 2021 du groupe IMWG2 comme un outil de routine. Il faut néanmoins garder à l’esprit que c’est une technique couteuse. La spectrométrie de masse avec approche clonotypique est une technique encore plus poussée. Il s’agit de séquencer le peptide spécifique de la partie variable de l’immunoglobuline ou de la chaine légère. Cela permet une détection encore plus sensible du clone, puisqu’on ne caractérise pas l’immunoglobuline monoclonale, mais la séquence spécifique du clone.
Recherche d’anomalies liées aux propriétés physicochimiques des Ig monoclonales
Cette démarche est un peu plus nouvelle. Elle est née du constat qu’il peut y avoir des symptômes associés à une faible masse tumorale. Il n’y a donc pas de relation univoque entre le taux de plasmocytes anormal et la gravité de la maladie. C’est plutôt la toxicité de l’immunoglobuline produite qui joue sur le passage entre une MGUS et une MGCS. Le concept de MGCS reste assez récent et continue de s’affiner avec les explorations actuelles. En anglais, on parle de « small dangerous B-cell clones » pour désigner ces clones qui, même en petite quantité, provoquent des complications. L’une des complications les plus courantes touchant le rein, on a d’abord catégorisé la gammapathie monoclonale de signification rénale (MGRS), mais aujourd’hui, on sait que bien d’autres organes peuvent être touchés par ces complications aval d’une gammapathie monoclonale, et que les mécanismes physiopathologiques sont très divers. Les formes les plus répandues restent les amyloses ; on compte à peu près 700 nouveaux cas par an d’amylose AL en France. On distingue généralement quatre grands groupes physiopathologiques : les gammapathies à dépôts (organisés, comme dans l’amylose AL, ou non organisés, comme dans la maladie des dépôts), les gammapathies avec autoanticorps (on peut alors doser, par exemple, la cryoglobuline pour les complexes immuns), le groupe avec des manifestations de surproduction de cytokine (avec notamment le syndrome POEMS, pour polyneuropathy, organo- megaly, endocrinopathy, monoclonal plasma cell disorder, skin changes) et enfin un dernier groupe, hétérogène, incluant les autres mécanismes encore inconnus (citons, par exemple, des manifestations dermatologiques).
Quelle fréquence de suivi ?
Le risque d’évolution d’une MGUS est de 1 % par an. Un suivi à vie est nécessaire. Trois facteurs sont importants pour l’évaluation du pronostic : le taux d’Ig (> 15 g/l), le type d’Ig (non-IgG) et le ratio de chaines légères libres (anormal). La surveillance repose sur la clinique, l’électrophorèse des protéines sériques et la protéinurie rapportée à la créatininurie. Au vu du nombre de plus en plus important de patients asymptomatiques à surveiller (dû au vieillissement de la population), il pourrait être envisageable d’en faire suivre certains par leur médecin traitant. Le premier suivi a lieu à 6 mois puis, pour les patients ayant des Ig < 15 g/l, 1 fois par an ou tous les 2 ans ou, pour les patients ayant des Ig > 15 g/l, tous les 6 à 12 mois.
Répartition des isotypes et démographie
Les gammapathies monoclonales sont plutôt des maladies de la vieillesse. Les dernières études relèvent une prévalence de cette affection d’environ 3 % de la population générale et soulignent l’augmentation avec l’âge. Ainsi, la prévalence monte à environ 5 %, chez les moins de 70 ans et jusqu’à 8 % chez les plus de 80 ans. Les hommes sont plus touchés que les femmes, comme pour le myélome multiple. Les populations noires sont aussi référencées comme plus à risque.
Notes
- D’après Jill Corre Puig, et al., Abstract 866, ASH 2022.
- International Myeloma Working Group créé par la fondation internationale du myélome (IFM) – myeloma.org