Les biologistes seront contraints de prendre le virage vers l’IA
Biologiste infos : Dans quelles branches de la biologie l’IA est-elle présente ?
Alexandre Janel : Elle est essentiellement présente dans des disciplines impliquant une grande quantité d’informations et des tâches répétitives. La radiologie s’y prête beaucoup, en cela qu’elle nécessite d’analyser de nombreuses images. Il en va de même pour l’anatomopatho- logie, discipline pour laquelle l’IA est un atout en tant qu’aide à l’identification de certaines structures d’intérêt, ainsi qu’au marquage de zones potentiellement tumorales. L’IA est aussi utile dans l’élaboration des comptes rendus des médecins, qui peuvent se servir de ces logiciels pour effectuer des synthèses de courriers, des retranscriptions, etc. De plus en plus de logiciels visant à accompagner les médecins sur la prise en charge du patient en fonction de ses pathologies commencent à être déployés. En génétique, l’IA est utilisée, d’une part, dans l’identification des séquences d’intérêt et, d’autre part, pour estimer, grâce à des logiciels prédictifs, l’impact des mutations sur les protéines ou sur l’épissage. À ce jour, l’un des domaines d’application les plus avancés est l’insuffisance rénale.
Comment cette technologie se déploie-t-elle concrètement ?
Cela repose toujours sur une quantité de données récupérables et sur lesquelles il est possible d’entrainer des modèles. En ce qui concerne l’insuffisance rénale, c’est assez simple, car les marqueurs biologiques de suivi sont bien connus. Aujourd’hui, on suit des patients sur 5 à 10 ans en entrainant des modèles destinés à savoir quels sont les facteurs permettant de prédire cette éventuelle insuffisance rénale.
Le hic est que l’on ne dispose pas de bases de données suffisamment solides pour d’autres pathologies. On commence tout juste à travailler sur ce sujet pour les insuffisances cardiaques. Cela s’avère beaucoup plus compliqué parce que l’on n’évalue pas le cœur de centaines de milliers de patients chaque année. Concernant le diabète, des modèles de prédiction sur l’apparition de cette maladie chronique commencent à émerger.
Quelle est la place de l’IA dans votre routine ?

Alexandre Janel, biologiste médical au laboratoire Inovie Genbio à Clermont-Ferrand. / DR
De nombreux outils sont disponibles en France sans être intégrés dans les recommandations des sociétés savantes ni employés au quotidien par les médecins. Ce sont des fonctions peu utilisées parce que leur plus-value est, d’une certaine façon, difficile à prouver. Il faut pouvoir changer les habitudes du patient pour évaluer leur intérêt. Prédire pour prédire ne sert pas à grand-chose. En revanche, prédire dans le but de prévenir un patient du risque qu’il développe un diabète dans les années présente un intérêt : le patient peut modifier son hygiène de vie. Idéalement, il faudrait entreprendre de grandes études prospectives afin de montrer que ce modèle a un intérêt dans la prise en charge du patient.
Si l’on excepte la génétique, que l’on a évoquée, l’IA est finalement encore peu présente. Elle arrive doucement sur les analyses d’images, notamment en hématologie. Avant, les analyses étaient basées sur des logiciels de reconnaissance d’images assez basiques, incluant des critères de contraste, de taille de cellules, de ratio d’une dimension par rapport à l’autre. Maintenant, les analyses reposent sur des algorithmes d’apprentissage par réseaux neuronaux qui permettent de reconnaitre les images d’une autre façon : sans critères stricts de contraste et de taille. Ceci améliore la classification des cellules. Le gain peut être assez élevé pour l’identification des cellules situées dans les tissus médullaires, car elles sont fortement accolées les unes aux autres.
Au milieu de tout ça, qu’en est-il de la responsabilité du biologiste ?
La question est centrale. On fonde beaucoup d’espoir sur les aides à la validation de bilans biologiques par la machine. Cela fait toujours un peu peur, car on ne va plus forcément comprendre le détail du raisonnement de la machine qui a orienté le verdict. Cela pose forcément des questions quant à la responsabilité du biologiste. Sachant que, d’un point de vue légal, si le logiciel fait une erreur dans 5 % des cas, cette erreur incombera toujours au biologiste. Est-il vraiment pertinent d’avoir un logiciel faisant potentiellement 5 % d’erreurs ? Je pose la question.
Personnellement, utilisez-vous l’IA au quotidien ?
Je l’utilise dans le cadre de recherche d’indicateurs sur des paramètres de mon automate. Plus particulièrement, je vais chercher à définir de nouveaux paramètres visant à prédire si mon automate aura une dérive sur ses dosages. Je me penche aussi sur l’utilisation d’autres paramètres de l’automate, qui ne sont pas utilisés actuellement, mais qui pourraient m’être utiles pour savoir si le patient présente un début d’infection. En bref, j’essaie de sonder de nouveaux indicateurs.
Quelles limites observez-vous ?
Il y a un manque de formation des biologistes, ainsi que de fortes restrictions législatives. Il est très compliqué de travailler sur des données. Ces dernières doivent être anonymisées, mais cette anonymisation entraine une scission avec le reste des données. Il faut donc se constituer une base de données d’entrainement qui soit le plus complète possible, et cela devient extrêmement lourd. Et puis, certains logiciels ne permettent pas de récupérer toutes les données ; le fournisseur en est un peu le maitre, car lui seul autorise ou non leur exploitation. Or, en tant que biologiste, il est plus intéressant d’avoir accès à l’ensemble de ces données pour les étudier. Dernier aspect : si demain, nous arrivons à déployer, grâce à l’IA, un outil plus performant que l’humain, il subsistera toujours un problème de responsabilité en termes d’erreur. Est-ce que ce taux d’erreur est plus acceptable s’il n’est pas lié à une erreur purement humaine ?
De quelle façon envisagez-vous l’avenir de l’IA appliquée à la biologie médicale ?
Les biologistes seront contraints de prendre le virage vers l’IA s’ils ne veulent pas disparaitre. Ces outils ne viennent pas concurrencer les professionnels. Au contraire : ceux qui les utiliseront seront plus performants. L’IA sera incontournable en raison de l’augmentation permanente du nombre de données à utiliser et à centraliser. Je suis en contact avec des médecins fortement demandeurs, qui disent voir trop patients, prescrire trop d’analyses et, de ce fait, recevoir trop de résultats d’analyse. Leur souhait serait que les biologistes ne leur transmettent qu’un compte rendu très synthétique indiquant, par exemple, de suivre de près tel patient, car son insuffisance rénale pourrait potentiellement s’aggraver dans les deux prochaines années. Au vu de la raréfaction de temps médical et des besoins en matière de soin sur le territoire, ces outils permettront de faire gagner du temps aux professionnels de santé. Un temps qu’ils pourront dégager pour mieux prendre en charge les patients.