Quand les données de biologie ne sont qu’un départ
« La surveillance des antibiorésistances, et l’épidémioMydilogie qui va avec, ne date pas d’hier ! » s’exclame Wendy van der Linden, responsable marketing microbiologie chez BYG4lab quand on l’interroge sur les solutions informatiques permettant d’exploiter ces données qui existent. « En Europe francophone, Info Partner, que BYG Informatique a acheté il y a maintenant 4 ans, possédait le logiciel Infectio, dont la première version est sortie il y a plus de 25 ans. C’était l’un des pionniers de la gestion numérique des données de l’antibiorésistance, de l’épidémiologie et de l’hygiène, poursuit-elle. Nous l’avons redéveloppé et modernisé sur notre socle technique YLine pour en faire Ynfectio. »
Du microbiologiste aux autres praticiens
L’utilisation des données d’antibiorésistance récoltées au laboratoire d’analyse médicale sur la paillasse de microbiologie suit, encore aujourd’hui, un cheminement logique, depuis le microbiologiste vers le prescripteur et/ou l’hygiéniste, responsable de la politique d’antibiorésistance. Cette communication est passée du téléphone à des alertes automatisées. Cela tient au fait que les solutions logicielles se sont développées par métier : solutions pour le microbiologiste et pour le laboratoire d’un côté, et diverses autres solutions pour les différents cliniciens de l’autre. Aujourd’hui, les éditeurs proposent soit des moyens de communication entre solutions, soit des solutions communes – chacun ayant son interface personnalisée selon ses besoins, mais ayant accès aux données utiles issues d’un autre compartiment.
C’est le modèle classique que l’on retrouve chez Softway Medical Biologie avec le middleware Mydisia, ou dans Ynfectio de Byg4lab. « Typiquement, il existe des règles préétablies, standards, mais les clients peuvent choisir d’en créer de nouvelles ou de les supprimer. Ainsi, lorsqu’une BMR est détectée, un Flag BMR va s’inscrire automatiquement dans le dossier du patient et une alerte est faite aux différents services concernés, précise François Vasseur, directeur de la division Biologie de Softway Medical. Les hygiénistes utiliseront nos données pour mettre en place les mesures d’isolement éventuelles et suivre les indicateurs d’antibiorésistance ; le clinicien mettra en place une antibiothérapie ciblée. »
De cette utilisation directe des données de biologie, maintenant bien prises en charge par les éditeurs informatiques, découle une autre à l’échelle d’une population.
Des données de labo à l’épidémio
Aujourd’hui, l’épidémiologie s’appuie sur un système d’agrégation des données, sous forme d’indicateurs prédéfinis, un échelon géographique après l’autre : du laboratoire d’un hôpital à ceux du GHT, puis à ceux de la région et enfin au territoire national. Cela permet de dresser des tableaux de bord épidémiologiques aux différentes échelles. La gestion de la data bouleverse un peu cette organisation pyramidale. « Nous avons fait le pari stratégique d’être hébergeur, intégrateur et éditeur, explique François Vasseur. Nos clients sont des laboratoires privés, mais aussi des hôpitaux. Nous avons déjà des solutions d’intelligence artificielle dans nos produits. Nous sommes prêts à participer et à aider à la construction d’entrepôts de données disponibles pour la recherche à la fois pour des objectifs cliniques, mais aussi pour des études médicoéconomiques qui permettraient d’améliorer les soins et les parcours de soins. »
Avec l’encadrement, la structuration des datas et les possibilités ouvertes par l’intelligence artificielle, l’épidémiologie va pouvoir se faire non plus seulement sur la base d’indicateurs prédéfinis, mais également sur des analyses multiples – population particulière, âge, parcours de soins, etc. – menant à un panorama plus complet. À la clé, des actions préventives et/ou correctrices beaucoup plus ciblées.
L’antibiogouvernance par l’approche patient
Deux acteurs canadiens sont venus sur les JIB 2023 : Nosotech, avec Nosokos, et Lumed, avec APSS+ et Zinc+. Tous deux ont l’ambition de s’installer durablement en France grâce à leurs solutions d’aide à l’infectiologie en temps réel ; une approche qui part de la gestion du patient et non de la gestion de la donnée. Une histoire différente, qui aboutit à une approche différente.
En effet, Lumed a commencé par concevoir un logiciel traitant du bon usage des antibiotiques, puis a élargi son offre à la prévention et au contrôle des infections. « Nous sommes partis du besoin du soignant d’avoir des alertes pertinentes sur ses patients, détaille Xavier Nouvelot, directeur des opérations commerciales de Lumed. C’est pourquoi, par exemple, alors que la plupart des solutions disponibles sur le marché peuvent vous donner toutes les hémocultures positives pour faire de l’épidémiologie, notre logiciel, lui, va trier les patients ayant une hémoculture positive associée à une antibiothérapie non adaptée (posologie, type d’antibiotique, voie d’administration, pénétration tissulaire, etc.). C’est cette donnée qui va déclencher une alerte. Nous plaçons la valeur ajoutée sur ce type d’alerte, car elle va entrainer une action de soins, positive pour le patient et positive de manière générale pour l’antibiorésistance. Notre positionnement n’est donc pas celui d’une aide à la prescription, mais plutôt d’une optimisation de la prescription. »
Intelligence artificielle pour alerte en temps réel
« Les algorithmes de notre logiciel suivent continuellement toutes les évolutions cliniques du patient, ce qui nous permet d’envoyer en temps réel nos propositions d’optimisation au médecin, détaille Xavier Nouvelot. La révision de toute prescription antibiotique de plus de 3 jours n’est donc plus nécessaire, puisque le logiciel la fait à chaque instant. Nous pouvons aussi, par exemple, signaler au médecin que son patient qui reçoit des antibiotiques par voie intraveineuse montre tous les signes d’amélioration clinique et qu’il peut potentiellement passer à une voie orale, et donc quitter l’hôpital. Le passage, plus rapide, au traitement par voie orale, si le contexte médical le permet, va aboutir à une décision positive pour le patient (il quitte l’hôpital), comme pour l’hôpital, où un lit est libéré. »
Pour obtenir ce résultat, les algorithmes doivent récupérer des données de tous les compartiments de l’hôpital : données de biologie, de pharmacie, de clinique, du DPI, de radiologie, des blocs opératoires, etc. S’ajoute à cela un screening en continu des patients (température, oxymètre, tension). « Cela permet d’émettre des alertes sur des suspicions de septicémies, de tuberculose, etc., avant même d’avoir les résultats du laboratoire », précise le Canadien.
Un ancrage dans le temps réel que d’autres éditeurs visent aussi. Ainsi, en janvier dernier, à l’occasion de ses journées D4Evolution, l’éditeur Dedalus présentait son outil de gestion centralisée de l’hôpital : le « Command center », un outil de pilotage en temps réel par la donnée qui propose de contrôler l’ensemble de l’activité de l’hôpital par cette voie. En mars 2024, Byg4lab annonçait son partenariat avec un spécialiste de l’IA, GeodAIsics. « Notre objectif, avec ce partenariat, est de développer, d’ici la fin de l’année, de nouvelles fonctionnalités, comme la détection de transmissions croisées entre patients en repérant d’où vient la contamination, car aujourd’hui, les infections associées aux soins sont analysées rétrospectivement avec une enquête à la Sherlock Holmes très chronophage, alors que, pour être efficace, il faudrait avoir l’information en temps réel. Nous avons pour cela pu compter sur la collaboration avec la SFM », témoigne Wendy van der Linden.
La France est-elle prête ?
La question se pose. Peut-on implémenter ce genre de solution en France ? Les organisations sont-elles prêtes ? Le socle technique est-il prêt ? Les données sont-elles disponibles ? « Oui et non », répondent les éditeurs.
Toutes les solutions numériques de gestion du patient, du laboratoire, etc., sont des outils qui prennent du temps à être installés et qui nécessitent une adaptation au changement de la part des utilisateurs. « Nous travaillons actuellement avec le CHRU de Nancy, illustre le Canadien Xavier Nouvelot. Cela nous permet d’adapter notre solution au contexte local – car les antibiotiques, les protocoles et les demandes ne sont pas les mêmes qu’outre-Atlantique. Cela permet aussi à l’hôpital de s’habituer à notre fonctionnement. On avance de concert et on passe les freins ensemble, au fur et à mesure. »
Avec le Covid, le Ségur et les autres règlementations actuelles et à venir sur les données, l’intelligence artificielle, la cybersécurité, les éditeurs et les établissements de soins ont fait un gros travail de mise à niveau et d’harmonisation. « Le Ségur nous a permis de faire de nombreux développements en marge de nos obligations liées au référencement. Il nous a permis également d’uniformiser les versions de nos clients, facilitant par là même nos interventions en maintenance. De plus, le Ségur a poussé tous les acteurs à adopter des standards d’interopérabilité facilitant ainsi les interactions entre les éditeurs », témoigne François Vasseur.
Autrement dit, les outils, les données et les acteurs semblent plutôt prêts à passer à l’ère du pilotage par la data. Une inconnue demeure cependant : celle du financement de ces solutions dans un contexte de crise.