Fin annoncée d’une cacophonie fiscale

Les sociétés d’exercice libéral par actions, qu’il s’agisse des sociétés d’exercice libéral par actions simplifiées (Selas), ou des sociétés d’exercice libéral par actions à forme anonyme (Selafa) sont largement plébiscitées depuis leur légalisation aux professions libérales réglementées ou non (avec une part prépondérante très nette de l’adoption de la forme de type Selas)1. Elles ont ouvert des horizons insoupçonnés, dont l’un au moins s’est révélé être un piège pour ses dirigeants, selon les choix opérés et au gré du centre des Finances publiques compétent, selon le lieu d’installation. Ainsi, le Code général des impôts (CGI) est muet sur le statut fiscal des rémunérations des présidents et des directeurs généraux, mandataires sociaux des Selas ou Selafa. De plus, aucune distinction n’était opérée jusqu’à présent dans la rémunération versée entre l’exercice des fonctions techniques (biologiste responsable) et l’exercice des fonctions de direction (mandat social). Une clarification prochaine est attendue, notamment avec le projet de Loi de Finances pour 2021.

Le statut fiscal des dirigeants : une situation piégeuse

L’article 62 du Code général des impôts, qui assimile aux traitements et salaires l’ensemble des revenus, de manière globale et sans distinguer selon que la rémunération versée trouverait sa source dans l’activité professionnelle libérale ou l’activité de direction attachée à l’exercice du mandat social, ne concerne que les gérants majoritaires ou les collèges de gérance majoritaire des sociétés d’exercice libérale à responsabilité limitée (Selarl). Cette règle ne profite donc pas aux dirigeants des Selas et des Selafa. Pour rappel, définir le statut fiscal du professionnel libéral en exercice dans une SEL, c’est définir le régime fiscal selon lequel seront imposés les revenus qu’il tire de son exercice libéral. Les textes fiscaux permettent de déterminer de façon certaine le régime fiscal des rémunérations des professionnels libéraux dès lors qu’ils exercent un mandat social, selon la nature de la forme sociale choisie pour leur SEL.

En l’absence de précisions dans le CGI sur le statut fiscal du président ou des directeurs généraux mandataires sociaux de Selas ou Selafa, c’est donc la doctrine fiscale qui définit sans ambiguïté que les rémunérations versées au président et aux directeurs généraux relèvent de la catégorie des traitements et salaires, telle que définie à l’article 1 A du Code général des impôts (CGI). Cette catégorie est une cédule (feuillet de déclaration de revenu dans les déclarations fiscales) autonome, distincte de celle des rémunérations mentionnées à l’article 62 du CGI reprise dans le même article 1 A qui concerne les gérants majoritaires ou les collèges de gérance majoritaire de Selarl. Ainsi, les rémunérations des présidents et directeur généraux des Selas ou des Selafa, si elles doivent être taxées en totalité dans la catégorie des traitements et salaires, ne relèvent pas pour autant des dispositions de l’article 62 du CGI, ce qui est confirmé par la même doctrine administrative (BOI-RSA-GER-10-30-20120912).

Les principes semblaient clairs, deux réponses ministérielles, dites « Cousin » (Joan Q., 16 septembre 1996, page 4930), puis « Lamour » (Joan Q., 15 août 2006, page 8562), reprises dans la doctrine fiscale et toujours en vigueur venant préciser ces statuts pour prendre en compte la « spécificité » des « professions libérales », apportant ainsi des précisions aux principes énoncés ci-dessus.

Cependant, l’assimilation avec le régime de l’article 62 précité n’était pas totale et un arrêt du Conseil d’État (8e et 3e chambres réunies du 8 décembre 2017 n°409429) est venu perturber la situation, venant censurer un arrêt de la cour administrative de Nancy qui confirmait l’impossibilité pour le président d’une Selafa ou d’une Selas de déduire des cotisations Madelin pour la retraite, contrairement à ce que peut faire un gérant de Selarl.

Cet arrêt rappelle tout d’abord de façon claire que : « lorsque le président d’une Selafa ou d’une Selas exerce au sein de cette société, en plus de son mandat de président, une activité professionnelle dans des conditions ne traduisant pas un lien de subordination à l’égard de la société, les rémunérations qu’il perçoit à ce titre conservent la nature de bénéfices non commerciaux (BNC) et sont assujetties à l’impôt sur le revenu dans la catégorie correspondante ». Ce même arrêt précise, que les conditions d’exercice d’un « directeur de laboratoire biologique » sont caractérisées par l’inscription obligatoire à un ordre professionnel et à son contrôle déontologique.

Le statut fiscal du biologiste coresponsable confronté à l’évolution de la position de l’administration fiscale

Fort de cette dernière décision, un certain nombre de contrôles fiscaux ont été initiés par des services locaux afin de requalifier les rémunérations versées aux biologistes responsables, également mandataires sociaux qui avaient déclaré leur rémunération dans la catégorie de traitements et salaires après déductions des cotisations Madelin, en BNC.

En effet, aucune distinction n’était opérée dans la rémunération versée entre l’exercice des fonctions techniques (biologiste responsable) et l’exercice des fonctions de direction (mandat social). De surcroît, les statuts de la Selas ou de la Selafa prévoyant explicitement dans certains cas que le mandat social ne donnait droit à aucune indemnité.

L’administration fiscale avait alors une porte ouverte et ses contrôles avaient pour conséquences de faire perdre la déduction forfaitaire de 10 % pour frais professionnels (plafonnée actuellement à 12 627 euros), ainsi que la déduction des cotisations Madelin. Cerise sur le gâteau, les bénéfices non commerciaux n’ayant pas été correctement déclarés dans la bonne catégorie, ceux-ci étaient majorés de 25 %, car le biologiste responsable n’était pas adhérent d’une Association de gestion agréée (AGA). Nombre de biologistes responsables ont accepté ces requalifications proposées par l’administration et se sont acquittés des suppléments d’imposition. Cependant, la position de ces services de contrôle reste, à ce jour, en contradiction avec la doctrine administrative et si les impositions correspondantes ont été mises en recouvrement après le 31 décembre 2018, ces rectifications sont, de notre point de vue, encore contestables et peuvent donc être contestées avec succès.

Une clarification attendue

Le projet de Loi de Finances pour 2021 envisage de supprimer la majoration de 25 % en cas de non-adhésion à une AGA ce qui réduirait les conséquences d’une éventuelle requalification. De plus, l’administration centrale de la Direction générale des Finances publiques a indiqué qu’une clarification par voie d’instruction était en cours d’élaboration par le service de la législation fiscale sur ce point précis.

En attendant une clarification prochaine éminemment souhaitable, les réponses ministérielles n’ayant pas été rapportées, la situation des biologistes responsables mandataires sociaux qui déclarent leur rémunération dans la catégorie des traitements et salaires après déduction des cotisations Madelin pour l’année 2020, nous apparaît être sans risque de remise en cause en l’état de la doctrine fiscale opposable à l’administration.

Ceux qui souhaiteraient contester les rappels pour les rectifications mises en recouvrement entre le 1er janvier 2018 et le 31 décembre 2018 (même si elles ont été acceptées et réglées) doivent introduire leur recours contentieux avant le 31 décembre 2020.

Le statut social du biologiste coresponsable

Rappelons qu’au plan social, selon les dispositions du Code de la Sécurité sociale (article L311-3), ces rémunérations des professionnels libéraux exerçant en SEL sont soumises aux mêmes cotisations sociales que les traitements et salaires et ne peuvent donc pas être considérées comme assujetties au régime des travailleurs non-salariés (TNS), nonobstant l’absence de lien de subordination et le risque que leur mandat social soit révoqué ad nutum. Néanmoins, la jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d’État est venue préciser le régime de ces rémunérations. Elle a décidé que les associés en exercice au sein d’une SEL ne pouvaient être affiliés au régime général de la Sécurité sociale, mais à celui des travailleurs non-salariés. Une circulaire Acoss du 4 janvier 2010, n°2010-001, met en adéquation la doctrine de l’Urssaf avec cette jurisprudence. Néanmoins, il demeure nécessaire de garder en mémoire une distinction propre aux Selafa et aux Selas. Dans ces SEL, la part de rémunération propre à la rétribution de l’exercice des fonctions de président et de directeur général, prises distinctement de la réalisation des actes professionnels, demeure assujettie au régime général des salariés.

Maître Jacques Desmoineaux

est avocat au barreau de Paris depuis 2003 après avoir été successivement inspecteur des Finances publiques, puis directeur fiscal de groupes internationaux (Areva, Sanofi). Il conseille et accompagne les entreprises et les professions libérales dans leurs activités. Il anime, comme associé du Cabinet Veyssade membre du GIE Antelis (http://antelis.com), le département fiscal (contentieux, déclarations  » complexes « , fiscalité internationale et contrôles fiscaux : vérification de comptabilité, IFI…).

Note

  1. Cf Biologiste infos, numéro 79, pages 35-37.