Un patho chez les bios... Responsable, mais pas trop !

Les médecins pathologistes ont régulièrement dénoncé le manque d'attention et de soutien apporté à leur spécialité de la part des services de l'État, tout autant que des organismes sociaux, et notamment lorsqu'ils exercent dans le secteur privé. Un arrêt du Conseil d'État vient préciser la place de l'anatomopathologiste au sein d'un laboratoire de biologie médicale.

François Marchadier, avocat au barreau de Paris, publié le 14 novembre 2024

Un patho chez les bios… Responsable, mais pas trop !

Le rapport produit en avril 2012 sous l’égide de la DGOS avait le mérite d’inscrire définitivement l’anatomo- cytopathologie (ACP) comme une spécialité médicale à part entière, dotée d’une identité particulière liée à sa transversalité avec les activités cliniques, d’imagerie et de biologie. L’origine des réflexions remontait à 2003 et au rapport de la commission d’orientation sur le cancer.

Victime collatérale de la réforme de la biologie médicale

Ainsi, certaines garanties ont été apportées, notamment à l’occasion des ajustements successifs de la règlementation applicable à la biologie médicale, pour renforcer le statut de l’ACP dans le secteur privé. Néanmoins, les hésitations ou approximations rédactionnelles qui ont émaillé la réforme de la biologie médicale continuent d’alimenter la jurisprudence et, si certaines solutions concernant le statut du médecin pathologiste dans le laboratoire de biologie médicale (LBM) sont aujourd’hui stabilisées, c’est au prix d’une interprétation des textes du code de la santé publique et non grâce à une écriture rigoureuse des dispositions légales et règlementaires. C’est cette faiblesse rédactionnelle qui donne encore aujourd’hui naissance à des contentieux qui ne devraient plus avoir cours. Un arrêt du Conseil d’État du 24 mai 2024 en est une illustration1.

Complémentarité entre biologie et cytopathologie

Dans un premier temps, il est intéressant de rappeler certains acquis qui résultent de l’application combinée de plusieurs articles du Code de la santé publique, mais dont la construction intellectuelle révèle une mauvaise construction initiale. Il faut commencer à la racine ; l’article L.6212-2 du code de la santé publique prévoit qu’un LBM peut réaliser des examens d’anatomie et de cytologie pathologiques. Cette disposition pouvait avoir deux lectures :

soit l’ACP est une branche de la biologie médicale,

soit un laboratoire de biologie médicale peut accueillir l’exercice d’une autre spécialité médicale.

À la suite du rapport de 2012, la deuxième solution ne pouvait que s’imposer, et la loi du 30 mai 20132 est venue compléter cet article en ces termes : « un examen d’anatomie et de cytologie pathologiques effectué dans un laboratoire de biologie médicale est réalisé par un médecin spécialiste qualifié en anatomie et cytologie pathologiques… »

Il s’agissait donc de consacrer la dissociation entre l’ACP et la biologie, spécialités complémentaires mais différentes. Or cette dissociation n’est pas allée jusqu’à séparer totalement les structures d’exercice.

Dès lors, quelle est la place du médecin pathologiste dans un laboratoire de biologie médicale ? Fallait-il permettre l’existence de structures juridiques bi- spécialisées où les deux spécialités cohabiteraient ? La suite des articles du Code de la santé publique qui traitent de ce sujet permettait cette lecture.

Marier les contraires

À cet égard, la notion de biologiste « responsable » du laboratoire étendue au médecin pathologiste est révélatrice de la volonté de marier les contraires et d’une recherche difficultueuse de concilier l’indépendance d’une spécialité et sa cohabitation.

L’article L.6213-9 du Code de la santé publique nous enseigne que les laboratoires de biologie médicale privés sont dirigés par un biologiste-responsable qui en est le représentant légal, et que lorsque la structure juridique d’un laboratoire de biologie médicale permet l’existence de plusieurs représentants légaux, ces représentants sont dénommés biologistes-coresponsables. Et l’article de préciser : les médecins spécialistes qualifiés en anatomie et cytologie pathologiques peuvent être désignés comme coresponsables. Les biologistes-coresponsables et les médecins spécialistes qualifiés en anatomie et cytologie pathologiques désignés comme coresponsables exercent ensemble les fonctions et les attributions habituellement dévolues au biologiste-responsable.

Un juriste serait en droit de considérer, à la lecture de ces dispositions, qu’un médecin pathologiste désigné comme coresponsable peut également être « représentant légal », c’est-à-dire gérant ou président ou directeur général selon qu’il s’agit d’une SELARL ou d’une SELAS. Et comme seuls les associés professionnels en exercice dans une structure peuvent en être représentants légaux, il serait également permis de considérer qu’un médecin pathologiste peut être associé d’un laboratoire de biologie médicale.

SAUF QUE…

C’était sans compter sans la volonté politique de pérenniser l’ACP comme spécialité médicale.

Or, l’article L.6223-5 du code de la santé publique rappelle, au titre des incompatibilités propres à garantir l’indépendance des professions, qu’une personne physique ou morale exerçant une profession de santé ne peut détenir directement ou indirectement une fraction du capital social d’une société exploitant un laboratoire de biologie médicale. Comme une bouée de sauvetage, cette disposition a permis de maintenir une dissociation hybride dans laquelle un laboratoire peut accueillir des activités d’ACP, et avoir en son sein un médecin pathologiste « responsable » qui n’en est ni associé ni représentant légal3.

À l’origine, certaines ARS ont eu une position différente et ont pu autoriser le fonctionnement de laboratoires dans lesquels les médecins pathologistes détenaient une participation au capital. Ce sujet est aujourd’hui manifestement clos.

Dans son arrêt du 24 mai 2024, le Conseil d’État consacre cette solution en ces termes : « Il résulte de ces dispositions qu’un médecin spécialiste qualifié en anatomie et cytologie pathologiques peut être désigné comme coresponsable d’un laboratoire de biologie médicale privé, alors même qu’il ne peut en être le représentant légal, qualité qu’une telle désignation ne lui confère pas. »

La solution est énoncée avec une grande évidence, mais elle est davantage le fruit d’une construction intellectuelle de circonstance. Selon un principe du droit bien connu, il était également possible de soutenir que les dispositions de l’article L.6213-9 constituaient une disposition spéciale qui déroge aux dispositions générales. Mais l’enjeu était trop important.

Nouveau site sans biologiste

« Flexible droit », disait le doyen Carbonnier, qui rejetait une approche dogmatique du droit pour en favoriser une approche sociologique, en considération des évolutions de la société et des buts à atteindre. L’exercice est ici poussé à son paroxysme, et il est une nouvelle fois démontré que l’édification législative et règlementaire dans le secteur de la santé est un chemin parfois tortueux.

L’arrêt du 30 mai 2024 apporte une autre solution en réponse à la position soutenue par le Conseil central de la section G de l’ordre national des pharmaciens. Selon ce dernier, l’adjonction d’un nouveau site du laboratoire, non ouvert au public, et consacré exclusivement à l’activité d’ACP, nécessitait, pour son ouverture, la nomination d’un nouveau biologiste associé pour satisfaire à l’exigence imposée par l’article L.6223-6 du Code de la santé publique qui veut qu’une structure ait autant d’associés que de sites.

Le Conseil d’État décide que cette exigence ne s’applique qu’aux sites dans lesquels sont réalisés des examens de biologie médicale. Autrement dit, la création d’un nouveau site consacré à l’ACP ne justifie pas l’intégration d’un nouvel associé biologiste.

Un minimum de cohérence a donc été préservé.

médecin pathologiste,anatomopathologie,laboratoire de biologie médicale,associés

médecin pathologiste,anatomopathologie,laboratoire de biologie médicale,associés

Notes

1. Conseil d’État, 1re à 4e chambres réunies, 24 mai 2024, no 474127.

2. Loi no 2013-442 du 30 mai 2013, article 4.

3. Réponse ministérielle 1054, 24 août 2017.